La présumée pauvreté du Québec

2019/06/21 | Par Michel Rioux

À l’occasion d’une récente table ronde organisée récemment par les Intellectuels pour la souveraineté (IPSO) à l’occasion de leur assemblée générale annuelle et à laquelle participaient Nicolas Marceau, ex-ministre des Finances et Pierre Karl Péladeau, PDG de Québecor, l’économiste Pierre Fortin s’est employé à déboulonner ce mythe largement entretenu selon lequel le Québec serait parmi les plus pauvres des États nord-américains.

Dans ce « Coup d’œil sur la performance économique du Québec », l’éminent professeur de l’UQAM démontre clairement que le Québec s’en tire haut la main quand il se compare à d’autres États.

Le professeur Fortin commence par expliquer quelles sont les mesures utilisées pour établir ses statistiques. Il prend en compte la population de 15 à 64 ans, selon un calcul du revenu par habitant déterminé par le PIB et celui de la population que publie la Banque mondiale. S’en tenir à cette catégorie de la population permet, selon Pierre Fortin, « de comparer la capacité des territoires de produire des biens et des services avec les ressources humaines qu’ils peuvent recruter effectivement ».

Ce sont 120 territoires qui sont comparés dans son étude. Ce sont des pays distincts qui comptent au moins 3 millions d’habitants. Il élimine ainsi des territoires qui ne sont pas des pays, par exemple Gibraltar ou Macao, et d’autres qui ont moins de 3 millions d’habitants, comme Caïmans et Bahrein. L’Institut de la statistique du Québec, qui ne fait pas ces importantes distinctions, en dénombre 203. Le dollar américain sert d’étalon pour mesurer le pouvoir d’achat identique d’un pays ou d’une province à l’autre. Les données du FMI et de Statistiques Canada sont celles utilisées dans cette étude. Une correction est appliquée pour éliminer l’impact artificiel des paradis fiscaux sur le PIB, en Irlande et en Suisse par exemple.

 

Le Québec : au 13e rang mondial !

En se fondant sur les données des institutions mentionnées plus haut, le Québec se range au 23e rang mondial quant au revenu par habitant de 15 à 64 ans, avec un revenu annuel de 69 000 $. Mais le professeur Fortin procède ensuite à une autre démonstration, fulgurante celle-là. On constate que, parmi les huit pays les plus riches, on en compte six qui sont d’importants producteurs de pétrole (Qatar, Norvège, Alberta, Koweït, États-Unis et Émirats arabes unis) et deux qui sont des paradis fiscaux (Singapour et Islande). Ainsi, si on commence à compter à partir du 9e rang, le Québec se classe au…13e rang parmi les États dont le revenu par habitant est le plus élevé. En ce qui a trait au Canada, si on suit la logique du professeur Fortin et qu’on soustrait des statistiques les trois provinces productrices de pétrole, le Québec se classe au premier rang, devant la Colombie britannique, à 68,300 $ et l’Ontario, à 67 400 $.

Le professeur constate aussi que les petits pays comme l’Autriche (15e), la Finlande (17e) ou encore les Pays-Bas (11e) tirent leur épingle du jeu. De même, une solidarité sociale avancée n’est pas un obstacle à un enrichissement collectif ainsi que le démontrent la Suède (10e), le Danemark (12e), et la Finlande (17e).

Ces résultats viennent clouer le bec à ceux qui, comme François Legault, ne cessent de répéter que le Québec est au 58e rang sur 61 États américains et provinces et territoire canadiens en ce qui a trait à la richesse. Dans sa chronique du 19 juin dans le Journal de Montréal, Mario Dumont entonne le même refrain. Commentant l’état des routes, il écrit : « Pour expliquer cette situation indigne d’un pays avancé, chacun se risque à son explication. On blâmera tour à tour les entrepreneurs, le manque de vision des gouvernements, les promesses électorales, la météo. » Suit sa propre explication : «  J’ai tendance à voir les choses plus simplement. Nous avons des routes de pauvres. Parce que nous sommes pauvres. » Et cette pauvreté serait le résultat de « notre cher modèle québécois »! Un modèle qui est encore loin d’atteindre les niveaux de pays socialement avancés comme la Suède, le Danemark et la Finlande qui se classent pourtant parmi les plus riches.

Pour reprendre l’expression de Mario Dumont, j’ai plutôt tendance, en ces matières, à faire davantage confiance au professeur Fortin, certainement l’un des économistes les plus respectés de sa génération.

 

Emploi

Il y a 20 ans, le taux d’emploi de la tranche d’âge de 15 à 64 ans se situait à 12 points de pourcentage derrière celui des États-Unis. Le Québec devance aujourd’hui ce pays de 9 pour cent. Depuis, le taux d’emploi est passé au Québec de 63 % à 78 %, en Ontario de 70 % à 76 % et aux États-Unis, ce taux est demeuré stable à 75 %.

Par ailleurs, l’avancée la plus spectaculaire est constatée dans le taux d’emploi des femmes. Pierre Fortin attribue ce résultat spectaculaire à l’implantation, à l’initiative de Pauline Marois, d’un de réseau de Centres de la petite enfance (CPE) à la fin des années 1990, ce qui a permis à des milliers de femmes de joindre le marché du travail.

Qu’on en juge : le Québec est au premier rang dans le monde pour le taux d’emploi féminin. Pas moins de 85 % des femmes sont sur le marché du travail au Québec. En comparaison, en France, elles sont 78 % et aux États-Unis, seulement 73 %, ce qui place ce pays au dernier rang des pays de l’OCDE.

En matière de chômage, là encore le progrès est majeur. De 1954 à 2000, le Québec a accusé un taux de chômage moyen supérieur à de trois points de pourcentage. Depuis, le Québec montre un taux de chômage régulièrement inférieur à celui de l’Ontario.

Là où le Québec accuse un sérieux retard, c’est au chapitre de la productivité. « Elle est un mystère », avoue le professeur d’économie, qui ajoute qu’elle est liée à de multiples facteurs, entre autres la compétence, l’innovation technologique, le respect des employés, la gestion participative, la concurrence et l’ouverture sur le monde et de bonnes infrastructures publiques. Si l’indice 100 se situe en 2007, la productivité du travail est aujourd’hui à 111 aux États-Unis, à 107 en Ontario et à 106 au Québec.

Les prophètes de malheur, qui font dans l’incantation plutôt que dans la démonstration en matière économique, devraient réfléchir à ces données du professeur Fortin. Mais comme ces résultats vont à l’encontre de leur biais idéologique, il est sûr qu’ils vont s’abstenir de le faire…