3 Compagni di Montreal (Trois camarades de Montréal)

2019/08/09 | Par Pierre Dubuc

Nous utilisons le mot « camarade » plutôt que le mot « ami » pour marquer notre adhésion à une cause, le socialisme, raconte en substance Salvatore Martire, en présence de ses deux camarades, le socialiste Giovanni Adamo et le communiste Francesco Di Feo dans le film « 3 Compagni di Montreal » (Trois camarades de Montréal) de Bruno Ramirez et Giovanni Princigalli.

Arrivés à Montréal au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les trois octogénaires racontent dans leur langue maternelle (le film est sous-titré en français) le départ de leurs villages pauvres de l’Italie du Sud, leur implication dans les luttes sociales au Québec et leurs espoirs et inquiétudes pour l’avenir de leurs enfants et petits-enfants.


Francesco, le militant syndical

Après avoir émigré en Suisse, puis en Belgique, Francesco s’est dit : « Pourquoi mourir dans les mines? Essayons le Canada ». Arrivé en 1958, il est embauché comme ouvrier de la construction, un secteur alors dominé par les immigrants italiens qui construisent le Montréal moderne.

Les accidents de travail, entraînant souvent morts d’hommes, sont nombreux. Francesco adhère à la CSN (« Un syndicat de gauche et socialiste, proche de mon idéologie »). Il participe activement au film Le mépris n’aura qu’un temps d’Arthur Lamothe, qui dénonce les conditions de travail meurtrières des chantiers de construction.


Giovanni, le militant politique

Giovanni est arrivé à Montréal le 19 février 1959. Brrr ! « J’ai compris qu’il valait mieux trouver du travail à l’intérieur », lance-t-il. Ce sera la restauration. S’inspirant de son père qui a été le premier maire socialiste de sa commune après la chute du fascisme, Giovanni fonde et préside pendant plusieurs années la FILEF (Fédération italienne des Travailleurs, Émigrants et Familles).

Il est particulièrement fier d’avoir contribué à la signature d’une entente Italie-Canada-Québec sur la sécurité sociale, sur la base d’une recommandation de syndicats canadiens et italiens, qui permettait le regroupement des cotisations pour la retraite prélevées dans différents pays afin d’assurer une retraite décente aux travailleurs ayant œuvré dans ces pays.

Mais la vie militante est exigeante et peut mettre à rude épreuve les relations conjugales. Dans le segment le plus touchant du film, son épouse, Gilda, évoque les tensions passées. Au-delà des paroles, les albums-photos rendent compte du malaise. Giovanni en tire des photos où il apparaît avec Michel Chartrand, Ed Broadbent et des candidats NPD. Gilda présente fièrement leurs photos de mariage.


Salvatore, le philosophe

Salvatore Martire n’est arrivé au Québec qu’en 1971. Dès l’âge de 17 ans, en Italie, il participait, avec le Parti communiste, à des occupations de terres dans le cadre de campagnes pour contrer l’émigration massive. Photos à l’appui de manifestations des « veuves de l’immigration » et d’enfants réclamant que leur « papa émigré revienne », il nous fait comprendre que l’émigration était ressentie comme un « drame qui doit finir » et qu’on l’a combattue.

Au Québec, Salvatore a pu rapidement pratiquer son métier de boucher. Après quelques années, il s’est porté acquéreur d’une boucherie, qu’il a baptisée « Boucherie Sila », du nom de la région de son village.


Avoir sa maison

Les trois camarades ont reproduit une partie de leur culture paysanne au Québec. Chacun a son jardin où les tomates sont à l’honneur. Mais pour posséder un jardin, il faut être propriétaire d’une maison. Giovanni en explique l’importance pour des immigrants : « Habiter dans sa propre maison te fait sentir moins étranger dans le pays où tu n’es pas né ».

Francesco, Giovanni et Salvatore ne remettent pas en question leur engagement politique. Francesco, qui porte tantôt la tuque avec le logo de la CSN, tantôt la casquette modèle Fidel Castro, étale devant la caméra ses cartes de membre du Parti communiste italien et déclare : « J’ai lutté. J’y cru. Et j’y crois encore », en se demandant cependant si « le communisme se réveillera un jour ». Giovanni renchérit : « Je suis né socialiste. Je mourrai socialiste ».  Et Salvatore réaffirme sa foi en l’avènement d’un État socialiste.

Cependant, ils se désolent de l’absence d’engagement de leurs enfants. Bien plus, ils déplorent que ceux-ci, au-delà de la conservation des habitudes alimentaires, ne ressentent pas de sentiment d’appartenance à leur communauté, à « l’italianité ». Les petits enfants ne parlent pas l’italien parce que leurs parents leur parlent en anglais. Seuls ceux élevés par leurs grands-parents le parlent.


Et la lutte nationale du Québec?

Bien qu’il n’en traite pas, le film nous amène tout naturellement à présumer que ces militants socialiste et communiste, comme bien d’autres émigrants socialistes et communistes grecs ou juifs, n’ont pas participé aux luttes linguistiques et nationales du peuple québécois. Giovanni raconte qu’en 1978, les candidats NPD, dont il faisait partie, ont déclaré que « si le Québec, démocratiquement, optait pour l’indépendance, le gouvernement fédéral devait respecter la décision du peuple québécois ». C’était la position des progressistes… du camp du Non!

Pourquoi ne pas soutenir la lutte de libération du peuple québécois, alors qu’on défend la Révolution cubaine, dont s’inspiraient également les révolutionnaires québécois? Cela pourrait faire l’objet d’un autre film.

En attendant, saluons la fidélité à leurs idéaux des « 3 compagni » et la bonne idée de Bruno Ramirez et Giovanni Princigalli de nous les faire connaître.

***

La première du film aura lieu le 13 août à 19 h
au Cinéma J.A. de Sève 
de l’Université Concordia, 1400 boul. de Maisonneuve O.

avec la présence des auteurs, des protagonistes, de l'équipe et de
Silvia Costantini (Consul Général d’Italie à Montréal);
Alexandre Leduc (député de Québec Solidaire); 
Jean-Luc Deveaux (Vice-président de la CSN Construction); 
Jimmy Zoubris (conseiller de Valérie Plante)  
et les représentants de la Caravane d’amitié Cuba-Québec et du syndicat italien CGIL.
 Une période de questions et réponses suivra la projection.

Entrée libre !

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