«Dans quel camp êtes-vous?»: droits douteux contre l’égalité

2019/08/12 | Par Michel Lapierre

Cet article est paru dans l’édition du 10 août 2019 du journal Le Devoir

 « L’attachement indéfectible d’une certaine gauche envers les chartes des droits est allé de pair avec l’abandon de la critique des fondements capitalistes de la société. » Ce jugement de Pierre Dubuc, directeur de L’Aut’ Journal, mensuel montréalais progressiste et indépendantiste fondé en 1984, donne au débat des idées une résonance unique.

L’essai Dans quel camp êtes-vous ?, de Dubuc, développe le jugement en traitant de sujets québécois brûlants : le dilemme entre le « nous » civique et le « nous » culturel, la langue, la laïcité, les Premières Nations, les Noirs, les autres communautés culturelles. Il demande de façon peut-être insidieuse mais, en définitive, révélatrice si les débatteurs appartiennent au camp des partisans de l’émancipation sociopolitique du Québec ou à celui des défenseurs du gouvernement d’Ottawa, néolibéral et centralisateur.

C’est la lecture du livre de Francis Boucher La grande déception. Dialogue avec les exclus de l’indépendance (Somme toute, 2018) qui a poussé Dubuc à écrire son essai. Le journaliste s’interroge sur le véritable camp auquel pourraient adhérer Boucher, en principe souverainiste et progressiste, ainsi que ses interlocuteurs, 14 membres des communautés culturelles qui se présentent comme des « exclus de l’indépendance » en raison d’une sourde tendance péquiste à l’exclusion identitaire.

Cette tendance se serait exprimée dans la malencontreuse explication par Jacques Parizeau de l’échec référendaire de 1995 par « des votes ethniques », le soir de l’événement, puis dans le projet, en 2013, d’une charte autant des valeurs laïques que de l’égalité entre les femmes et les hommes, loi non adoptée à cause de la défaite électorale du PQ en 2014. Dubuc estime que Boucher et ses interlocuteurs s’opposeraient aussi à la Loi sur la laïcité de l’État, chère aux caquistes et adoptée en juin dernier.
 

Des droits dans le monde

Pour Boucher et pour les « exclus de l’indépendance » en général, le projet de charte des valeurs de 2013 « visait clairement les musulmans ». Ne donneront-ils pas une interprétation semblable à la Loi sur la laïcité de l’État qui, pour eux, visera précisément des musulmanes en leur interdisant le port du voile lorsqu’elles enseigneront dans le réseau scolaire public ? Dubuc a raison de le penser. Leur opposition à la loi correspondra, présume-t-il si bien, aux chartes des droits à travers le monde.

Loin de favoriser la convergence culturelle d’une société changeante, opposée aux inégalités issues du capitalisme, la tradition anglo-saxonne que forment ces chartes, inspirées notamment du Bill of Rights américain de 1791, vise à protéger les libertés des possédants contre une trop grande démocratisation qui mène à une « tyrannie de la majorité ». Dubuc a l’intelligence de déceler dans cette lourde tradition un frein très subtil à l’évolution et à l’harmonie d’une société tournée vers l’égalité.

 

Photo: François Beauregard