Quel avenir pour le Saguenay?

2019/08/14 | Par Louise Morand

L’auteure est membre du Comité vigilance hydrocarbures de L’Assomption et porte-parole du Regroupement vigilance hydrocarbures Québec (RVHQ)

Cet été, pendant que les vacanciers affluent de partout pour faire du kayak et profiter des paysages grandioses et de l’air vivifiant qui baigne le majestueux fjord du Saguenay, le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) s’apprête à évaluer le projet de desserte en gaz d’Énergir pour la zone industrialo-portuaire de Saguenay[1]. Si le projet est accepté, ce nouveau gazoduc, évalué à 30 millions de dollars et s’étendant sur 13,8 km dans l’arrondissement de La Baie, devrait permettre l’installation en bordure du Saguenay de nouvelles industries lourdes, carburant au gaz, comme l’usine de métallurgie de la compagnie Métaux BlackRock. À elle seule, cette usine produirait 400 000 tonnes éq. CO2/an[2], ce qui la ferait figurer parmi les plus grands émetteurs industriels du Québec. Elle ferait aussi augmenter le trafic maritime dans l’habitat essentiel du béluga.

Le rapport du BAPE et les avis du ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MDDELCC) sur le projet de Métaux BlackRock manquent de sérieux[3] : l’usine carbure au gaz plutôt qu’au charbon? Voilà qui satisfait aux directives gouvernementales concernant la lutte aux changements climatiques. La hausse du trafic maritime ajoutera un stress supplémentaire dans l’habitat essentiel du béluga, une espèce menacée? Laissons les organismes responsables trouver des mesures d’atténuation après que l’usine sera construite. L’usine va défigurer le paysage du fjord du Saguenay? Le promoteur s’engage à la peinturer en gris pour qu’elle ressemble davantage aux falaises du fjord (les touristes ne verront pas la différence!). Les études sont incomplètes et le promoteur ne sait pas comment il disposera de ses déchets potentiellement dangereux? Il pourra trouver des solutions une fois le projet accepté. Et le reste à l’avenant.

Métaux BlackRock compte utiliser 40% du gaz qui devrait circuler dans le nouveau pipeline d’Énergir. La zone industrialo-portuaire de Saguenay est spacieuse. Plusieurs autres industries lourdes pourront venir profiter de ses infrastructures et jouir des avantages exceptionnels du site pour émettre du méthane et autres gaz toxiques, prélever de l’eau de la rivière, produire des tonnes de déchets qui pourront être exportés (ou non) par bateau, etc. L’usine de liquéfaction de gaz de GNL-Québec, couplée avec le projet de pipeline Gazoduq visant à exporter le gaz de schiste de l’Ouest canadien par méthaniers géants via le Saguenay et le Saint-Laurent, figure parmi les nouvelles installations projetées. Et c’est sans compter les projets miniers envisagés dans le Plan Nord, entreprises aux effets collatéraux destructeurs pour lesquelles les installations portuaires de Saguenay devraient servir de plaque tournante.

Le saccage annoncé d’un des écosystèmes les plus somptueux du Québec, au nom du Plan Nord et de la Stratégie maritime décidés par les gouvernements libéraux de Charest et Couillard et poursuivis par le gouvernement caquiste actuel, repose sur un désaveu complet de la science du climat et de la réalité des crises climatiques et environnementales.

Énergir fait valoir que le gaz naturel émet 32% de moins de gaz à effet de serre que d’autres hydrocarbures, comme le charbon ou le mazout[4]. C’est cet argument, répété ad nauseam, qui sert à justifier le développement de l’industrie du gaz de schiste en Amérique du Nord. Or un nombre toujours croissant d’études scientifiques prouve le contraire. Si on tient compte des émissions fugitives de méthane dégagées par le gaz naturel tout au long de son cycle de vie, et de son potentiel d’effet de serre au cours de la première décennie de son arrivée dans l’atmosphère, le gaz perd son avantage comparatif en terme d’émissions de GES[5]. Un rapport récent du Global Energy Monitor reconnait que les projets gaziers actuels compromettent les efforts mondiaux visant à enrayer les changements climatiques. Le boom du gaz de schiste au Canada et aux États-Unis est la principale cause de cette situation[6].

Les quelques centaines d’emplois que font miroiter Métaux BlackRock, Énergir et les élus ne sont rien à côté des milliers d’emplois qui pourraient être créés et conservés en réinvestissant dans les services publics, le tourisme, les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique, le développement agroalimentaire biologique, et autres entreprises orientées vers un développement social, économique et culturel axé sur le bien commun et sur un avenir viable à long terme.

Le Saguenay est un patrimoine naturel exceptionnel et un écosystème riche qui doit être préservé. Ce territoire où les humains peuvent communier avec la nature est emblématique de la culture québécoise et suscite l’admiration et la fierté. Alors que les effets des crises climatiques et environnementales s’amplifient et deviennent irréversibles, il est urgent de sortir des ornières de l’extractivisme et du business as usual. Il faut cesser de détruire. Il faut maintenant réparer et préserver la nature qui nous fait vivre. Qu’on le dise haut et fort, le gaz n’est pas une énergie de transition. Finissons-en avec l’imposture gazière. Il faut dire non à un nouveau pipeline d’Énergir. Exigeons un moratoire complet sur le gaz.

Photo : energir.com

 

[4] PR3.2 Énergir. Annexes, cartographie, octobre 2018, p.7

[5] Howarth, R. A bridge to nowhere: methane emissions and the greenhouse gas footprint of natural gas. Energy Science and Engineering 2014