Steven Guilbeault, Monsieur « substitution/transition » énergétique

2019/09/03 | Par Pierre Dubuc

La candidature pour le Parti libéral de Steven Guilbeault était un secret de polichinelle depuis sa nomination par le premier ministre Trudeau comme coprésident du Conseil consultatif sur l’action sur le climat du gouvernement fédéral. Il semblait d’ailleurs bien à l’aise aux côtés de la ministre Catherine McKenna, au mois de mars 2019, lorsque cette dernière est venue à Montréal, à la veille de la grève du climat des étudiants, pour transmettre le message que « le pays est en phase de transition » et que « la fin de l’exploitation pétrolière n’est pas pour demain ».

Le parcours de Steven Guilbeault a pu paraître étrange à ceux qui suivent distraitement le mouvement environnementaliste. Après tout, nos grands médias n’ont-ils pas toujours présenté Steven Guilbeault comme Monsieur Environnement.

Membre fondateur d’Équiterre en 1995, qu’il a dirigé de 2007 à 2018, et membre de Greenpeace Québec dès 1997, avant de diriger l’organisme de 2000 à 2007, n’a-t-il pas été, entre autres décorations, nommé membre du Cercle des Phénix de l’environnement du Québec en 2009, présenté comme l’un des 50 acteurs mondiaux du développement durable par le journal français Le Monde et l’un des leaders des Amériques par le magazine américain Americas Quaterly?

Mais les militantes et les militants qui l’ont côtoyé, tout au long de ces années, dans les dossiers du Suroît, de Gros-Cacouna, Rabaska, du gaz de schiste et des sables bitumineux, ont une autre opinion de « Monsieur Environnement ». C’est le cas d’André Bélisle de l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA), qui nous fait parvenir un volumineux dossier sur les prises de position de Steven Guilbeault dans ces différents dossiers.

 

Le Suroît

Chargé d’examiner le projet de centrale au gaz du Suroît à Beauharnois, le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) a fait part de ses conclusions dans une lettre remise, le 3 janvier 2003, au ministre André Boisclair. Le BAPE y affirme que « le projet augmenterait de façon substantielle les émissions de gaz à effet de serre au Québec » et qu’« eu égard à la démarche québécoise face aux engagements de Kyoto et dans une perspective de développement durable, la commission ne pouvait souscrire à sa réalisation ».

Un mois plus tard, lors de la session du 19 février 2003 de la commission parlementaire pour étudier le projet du Suroît, Steven Guilbeault, alors président de Greenpeace, déclare que « si les exportations de gaz naturel empêchent la production ou, en fait, substituent cette électricité-là à de l’électricité plus polluante en Ontario, les centrales thermiques au charbon. Si c’était le cas, je pense que, oui, ça rendrait le projet Suroît plus acceptable ».

Le ministre André Boisclair n’allait pas rater une si belle occasion et attrape la balle au bond. « Je prends note que vous ouvrez une piste, une voie en disant que, si on peut faire la démonstration que si l’énergie produite par Suroît se substitue à de l’énergie produite avec d’autres formes plus polluantes d’énergie, que ce projet pourrait devenir plus acceptable. » Et Steven Guilbeault de conclure : « Nous n’avons pas, quant au gaz naturel, une position qui est dogmatique. »

 

Gros-Cacouna et Rabaska

Quelques années plus tard, Greenpeace et Équiterre tiennent un double discours à propos des projets de ports méthaniers de Gros-Cacouna et de Lévis. Publiquement, ils s’y opposent fermement. Mais, au mois de septembre 2007, Équiterre, dont le porte-parole est alors Steven Guilbault, fait parvenir à ses membres un message les invitant à ne pas participer à la marche du 22 septembre contre le projet sous prétexte que le « dossier est très complexe et nous préférons bien l’analyser avant de descendre dans la rue. Équiterre croit que des études poussées de l’apport en GES d’un port méthanier ou de son potentiel de réduction advenant le cas d’une substitution importante et réglementée du mazout lourd par le gaz naturel sont nécessaires pour mieux comprendre les impacts à court et moyen termes. Nous n’avons pas une telle analyse à l’heure actuelle ».

Mais il faut croire que l’analyse s’est faite rapidement car, à peine une semaine plus tard, soit le 28 septembre 2007, Steven Guilbeault signe, au nom d’Équiterre, une lettre ouverte dans Le Soleil de Québec avec le président de la FTQ Henri Massé, dont la centrale appuie le projet. Le message est le suivant : « Oui au gaz naturel, mais… ‘‘Il faut qu’on assiste vraiment à une baisse des GES’’ ». Encore une fois, c’est l’argument de la substitution qui est invoqué. « Dans cette optique, est-ce que la substitution du mazout vers le gaz naturel, beaucoup moins polluant, est un plus pour l’environnement ? Bien sûr que oui. »

Pourtant, le mémoire de Greenpeace, dont il était encore le porte-parole lors de sa présentation  devant le BAPE chargé d’étudier le projet d’Énergie-Cacouna, affirmait que le gaz naturel « n’est pas une source d’énergie propre », que « l’utilisation de la chaîne logistique du GNL aurait pour effet d’augmenter les émissions de 20 à 40 pour cent par rapport aux émissions couramment produites à partir du gaz naturel obtenu de sources domestiques », et que les terminaux méthaniers « ne devraient pas être construits à proximité des lieux habités ». Il a aussi été révélé que le projet Rabaska avait pour objectif d’approvisionner le Nord-Est américain.

 

Gaz de schiste

Dans le dossier du gaz de schiste, Équiterre a salué la nomination de François Tanguay, un ami personnel de Steven Guilbeault, sur le Comité d’évaluation environnementale stratégique sur les gaz de schiste, alors que 14 organismes environnementaux et sociaux, dont Nature-Québec, l’AQPLA et Eau Secours !, et 43 comités de citoyens de la vallée du Saint-Laurent ont signifié leur mécontentement. À la demande du ministre Pierre Arcand, ils avaient soumis des noms, mais le ministre a choisi le candidat proposé par Équiterre, le RNCREQ et la Fondation Suzuki. François Tanguay n’était pas à l’emploi d’un groupe environnemental ni en contact avec les principaux groupes travaillant sur le gaz de schiste.

 

Sables bitumineux

Le 22 novembre 2015, juste avant le Sommet de Paris sur le climat : coup de théâtre ! Équiterre, Pembina, Forest Ethics appuient le Plan de lutte aux changements climatiques de la première ministre Rachel Notley de l’Alberta. Ce plan autorise une augmentation de la production de pétrole bitumineux de 40 % d’ici 2020 et de 80 % d’ici 20130 par rapport à 2014, en échange d’un plafond des émissions trop haut et une taxe carbone trop basse pour assurer que le Canada puisse un jour respecter les promesses annoncées en campagne électorale.

Dans son édition du 26 avril 2016, le Globe and Mail révèle que les groupes environnementaux qui étaient sur la même tribune que Mme Notley ont rencontré des dirigeants des pétrolières Suncor Energy inc., Cenovus Energy Inc., Canadian Natural Resources Ltd et Royal Dutch Shell PLC pour discuter des moyens de réduire l’opposition aux pipelines.

Plus tard, au mois d’août 2016, nouveau scandale ! On apprend que trois commissaires de l’Office national de l’Énergie chargé d’étudier le projet Énergie Est ont rencontré secrètement hors audiences des représentants de Trans-Canada dont Jean Charest, du Conseil du patronat et d’Équiterre. La révélation de ces rencontres entraînera la récusation de ces trois commissaires.

Soulignons, au passage, qu’au nombre des partenaires 2019 d’Équiterre, on trouve la Caisse de dépôt et placement du Québec, la Banque Nationale, Hydro-Québec, Lowe’s Canada (propriétaire de Rona), l’Association canadienne du Ciment, Énergir et VIA Rail.

 

Monsieur Transition

La « transition » énergétique risque d’être longue, parce que le secteur pétrolier et gazier est le premier secteur émetteur de GES au Canada et que ses émissions ont augmenté de 70 % depuis 1990. L’essentiel de cette hausse est imputable aux sables bitumineux dont les émissions ont bondi de 367 % au cours de cette période. Et l’Association canadienne des producteurs pétroliers prévoit une hausse de production de 33 % d’ici 2035. Comme le déclarait le premier ministre Trudeau : « Aucun pays ne laisserait dans son sol 173 milliards de barils de pétrole sans les exploiter ».

Steven Guilbeault a déclaré qu’il continuerait à s’opposer au pipeline Trans-Mountain. Mais, faisons-lui confiance, il saura vite se trouver un discours de « substitution » pour accéder au cabinet, comme cela semble être son vœu le plus cher.