En matière de langue, plus ça change…

2019/09/06 | Par Anne Michèle Meggs

Le 9 septembre 1969, la Loi sur les langues officielles est entrée en vigueur. Pour souligner les 50 ans de ce moment critique dans l’histoire du Québec et du Canada, j’ai déterré un texte que j’ai signé avec quatre autres intellectuelles et intellectuels anglophones indépendantistes. Il est paru dans La Presse le 11 septembre 1996. J’ai noté les deux ou trois mises à jour qui s’imposent. Autrement, l’analyse est tout aussi pertinente aujourd’hui comme en témoigne l’alliance bizarre annoncée récemment entre le Quebec Community Groups Network, l’Association de la francophonie de l’Ontario et la Société acadienne du Nouveau-Brunswick.

 

La politique linguistique doit refléter la réalité

Plusieurs Québécois sont préoccupés par la polarisation de la société engendrée par la question de la langue. Ils ont bien raison. Aucune société ne peut réussir son évolution si ses citoyens ne s’entendent pas sur les questions civiques fondamentales.

Il faudrait peut-être se demander pourquoi la langue est devenue une question qui entraîne tant de division non seulement au Québec, mais au Canada. Il faut examiner l’impact de la politique publique linguistique sur le tissu social des deux sociétés afin de déterminer comment l’adapter pour minimiser le conflit social.

La Constitution de 1867 a imposé un bilinguisme officiel au Québec et uniquement au Québec. L’article 133 exige essentiellement que l’Assemblée nationale et l’administration de la justice au Québec soient entièrement bilingues ; l’article 93 a imposé deux systèmes scolaires basés sur la confessionnalité, ce qui en 1867 voulait dire, pratiquement, sur une base linguistique. Ni l’un ni l’autre de ces articles n’a jamais été amendé ni abrogé. (Note : L’article 93 a été amendé en 1997 pour remplacer les commissions scolaires confessionnelles par des commissions scolaires linguistiques.)

En conséquence, pendant au-delà de 100 ans, le visage linguistique du Canada, tel que défini dans la loi fondamentale du pays, était celui d’un Québec bilingue et d’un pays anglais dans le reste du Canada.

La Révolution tranquille au Québec a déclenché une réaction du gouvernement fédéral de Pierre Trudeau, en 1969, qui était tout aussi révolutionnaire : la Loi sur les langues officielles et une politique linguistique étendue qui l’accompagnait, incluant la nomination d’un Commissaire aux langues officielles pour surveiller l’application de la Loi. Contrairement à la Révolution tranquille qui représentait un mouvement de la base de la société québécoise, par contre, l’intervention fédérale a imposé un concept « révolutionnaire » par le haut.

Le Canada se trouvait tout à coup avec une loi qui stipulait que tout le Canada était désormais officiellement bilingue, avec une minorité anglaise au Québec et des minorités françaises dans les neuf autres provinces et deux territoires. Cette politique a été renforcée en 1982 avec l’adoption de la Charte canadienne qui « garantissait » aux « minorités linguistiques » le contrôle de leurs écoles (article 23).

L’image créée par cette politique n’a jamais reflété la réalité canadienne. Une politique publique doit normalement répondre à un besoin social identifiable. Au Canada, c’est le français qui est la langue minoritaire. C’est donc cette langue, et elle seule, qui requiert une protection. Pourtant, la législation fédérale ne reconnaît pas que le français, tout en étant majoritaire au Québec, est une langue minoritaire au Canada dans son ensemble. Selon les définitions fédérales, les francophones du Québec forment maintenant une « majorité » et ils ne peuvent par conséquent compter sur le fédéral pour défendre leur langue chez eux. Le gouvernement du Québec n’a pas le choix : il doit remplir ce vide et légiférer afin de protéger le français au Québec.

En essayant d’imposer une fausse image de deux langues égales au Canada et en inventant le concept d’une minorité anglaise au Québec égale aux minorités françaises ailleurs au Canada, le gouvernement fédéral a provoqué un malaise chez ses citoyens, qui a sévèrement aggravé les tensions entre les Canadiens à l’intérieur et à l’extérieur du Québec ainsi qu’entre Québécois anglophones et francophones. […]

Nous avons démontré que la capacité du gouvernement du Québec d’élaborer et de mettre en œuvre une politique-cadre en matière linguistique sur son territoire est limitée par la Constitution canadienne et frustrée par la politique fédérale de bilinguisme. […]

Pour le gouvernement du Québec, la souveraineté clarifierait grandement les choses et lui permettrait d’élaborer une politique linguistique qui reflète la réalité québécoise. Pour le moment, par contre, il n’a que deux choix : essayer de changer le cadre légal et politique actuel ou s’en accommoder.

Il serait certainement futile de proposer, dans ce domaine comme dans bien d’autres, des changements constitutionnels, en dépit de l’engagement angélique de la Chambre des communes grâce auquel le Québec est reconnu comme étant une société distincte en vertu de sa langue. (Note : En novembre 2006, la Chambre des communes a adopté la motion tout aussi angélique reconnaissant « que les Québécoises et les Québécois forment une nation au sein d'un Canada uni ».)

Le cadre juridique actuel rend inopérants plusieurs articles de la Loi 101 telle que promulguée en 1976. Il y a donc très peu à gagner, dans les circonstances, à réintroduire ces articles. […]

Le Québec est une société où la majorité des citoyens parlent le français, une langue qui exigera pour toujours une protection considérable étant donné son statut minoritaire en Amérique du Nord. Approximativement neuf pour cent de la population québécoise, fortement concentrée dans certaines régions spécifiques, se déclare de langue maternelle anglaise. (Note : 7,5 % en 2016.)

Ces anglophones sont largement les descendants de Québécois qui ont fait d'importantes contributions à leur société. Leurs institutions ont toujours été acceptées, reconnues et appuyées par l’ensemble des Québécois et continuent de l’être. Leur langue est non seulement la langue majoritaire en Amérique du Nord, elle est la langue qui s’impose comme langue de commerce international, comme langue des nouvelles technologies, et comme un véhicule culturel si fort que plusieurs pays du monde développé ou en voie de développement, se sentent obligés de prendre des mesures pour combattre son influence envahissante. Voilà la réalité linguistique du Québec.

Tous les Québécois, et en particulier les Québécois anglophones, doivent accepter cette réalité afin d’assurer l’avenir du peuple québécois. Plusieurs anglophones au Québec ont choisi de vivre et de travailler en français. Ils ne voient pas ce choix comme un symbole folklorique ni comme un mal nécessaire. Il représente plutôt un geste de solidarité avec un peuple dont ils partagent les valeurs et avec qui ils s’engagent à bâtir une société ouverte et moderne. Et ils le font confiants que l’anglais est loin d’être sur la liste des espèces en voie d’extinction.

La politique linguistique du Québec doit refléter cette réalité et renforcer la présomption tout à fait raisonnable que le français est la langue commune entre les citoyens québécois de diverses langues maternelles. La législation linguistique doit être appliquée fermement et de façon équitable, comme toute autre législation. C’est la seule façon d’établir des fondements solides pour l’avenir collectif de la société.