« Ouvrir la loi 101 » : ne pas se tromper de cible!

2019/09/17 | Par Frédéric Lacroix

En nommant « l’hyperministre » Simon Jolin-Barrette comme responsable de la Charte de la langue française, M. Legault envoie le signal qu’il a décidé de prendre la question du français au sérieux. Un certain consensus semble même se dégager à l’Assemblée nationale pour « ouvrir la loi 101 ».  Enfin.

Car, après 42 ans de démolition de la Charte de la langue française par Ottawa, et plus de 20 ans de laisser-aller de la part des divers gouvernements du Québec, même l’Office québécois de la langue française (OQLF) n’arrive plus à camoufler l’anglicisation qui fait maintenant tache d’huile dans toute la région montréalaise.

Il importe cependant « d’ouvrir la loi 101 » pour procéder à des changements qui seront structurants, qui auront un réel impact, c’est-à-dire qui viendront rehausser la vitalité et l’attractivité du français au Québec. Il faut à tout prix éviter de se contenter d’un « bouquet de mesures » qui se révéleront inutiles en fin de course. On a déjà joué dans ce film il y a vingt ans (la Commission Larose, anyone?).

Quels seront ces changements? L’essentiel pour la CAQ semble être de franciser les immigrants le plus possible. Le PLQ, bien sûr, ne propose rien. QS? Bof.

Le PQ est essentiellement d’accord avec la francisation obligatoire des immigrants, les modalités restant floues également. Cependant, la mesure phare fréquemment mise de l’avant par le chef intérimaire est de « franciser » la langue de travail en imposant le Charte aux entreprises de 25 à 49 employés (soit les PME).

Ces deux mesures, soit la francisation obligatoire des immigrants et l’imposition de la Charte aux PME vont-elles suffire à renverser l’anglicisation en cours dans la région montréalaise?

Ce qui a « bien marché » et ce qui a « moins bien marché » dans la loi 101 est connu depuis longtemps, soit depuis au moins vingt-cinq ans. On en trouve une excellente synthèse dans le livre L’assimilation linguistique : mesure et évolution écrit par le chercheur Charles Castonguay et publié en 1994 par le Conseil de la langue française, soit l’ancêtre de l’actuel Conseil supérieur de la langue française.

Deux facteurs principaux ont stimulé la vitalité du français en matière d’assimilation linguistique au Québec:

- La sélection d’une proportion croissante de « francotropes » parmi les candidats à l’immigration au Québec. Pour citer Castonguay : « Dans la même optique, nous avons vu que l'augmentation de la part des francotropes dans l'immigration allophone au Québec depuis le début des années 60 — second changement de nature plus proprement démographique — a conduit à une progression parallèle de la francisation des immigrés bien avant les lois linguistiques du milieu des années 70 ».

- Les clauses scolaires de la loi 101 au primaire et au secondaire. Encore : « Il est tout au moins suffisamment clair que les dispositions des ‘‘lois 22 et 101’’ limitant l'accès à l'école anglaise ont fortement contribué à renverser, en faveur du français, la domination de l'anglais dans l'assimilation des enfants allophones arrivés à l'âge scolaire ou préscolaire ».

En revanche, on sait que d’autres mesures, bien que symboliquement importantes et contribuant à la cohérence de la politique linguistique, n’ont pas pesé significativement sur les transferts linguistiques en faveur du français. Il s’agit des mesures visant l’affichage ou la langue de travail: « En revanche, l'effet des dispositions visant la langue de travail ou l'affichage sur les comportements linguistiques au foyer est beaucoup moins évident ».

Résumons. La francisation « obligatoire » des immigrants est une bonne idée. Cependant, comme souvent pour ce qui est des idées de la CAQ, les modalités sont floues et ignorent la réalité du régime « canadian » : par exemple, un test de français après 3 ans de présence serait-il imposé aux seuls candidats à l’immigration économique, seul volet contrôlé par le Québec?

Comme ceux-ci ne constituent que le tiers environ du volume d’immigration total et qu’ils sont déjà sélectionnés en partie selon leur connaissance du français, l’impact d’une telle mesure risque d’être limité.

De plus, le Québec, une simple province, n’aurait aucun pouvoir de refus ou d’expulsion face à un candidat qui échouerait ce test. Ottawa n’acceptera pas de modifier la Loi sur la citoyenneté afin d’imposer un test de français (seulement) à tous les immigrants qui s’installent au Québec. Cela reviendrait à renier sa Loi sur les langues officielles chérie qui lui permet de rouler le Québec dans la farine depuis cinquante ans. Le Bloc avait d’ailleurs demandé la chose en janvier dernier : le ministre du multiculturalisme, Pablo Rodriguez, était promptement parti en orbite. N’empêche, élections obligent, M. Legault ferait bien de reprendre à son compte cette demande du Bloc Québécois.

La « mesure phare » actuellement proposée par le PQ consistant à soumettre les PME à la Charte n’aura vraisemblablement aucun impact significatif sur la langue de travail. Soyons clairs : cette mesure est souhaitable, elle est importante symboliquement, mais il ne faut pas s’attendre à ce qu’elle pèse réellement sur la langue de travail à Montréal.

Il est d’ailleurs ironique de relever que les données de l’OQLF indiquent que les employés des entreprises non soumises à la Charte (donc de 50 employés et moins actuellement) travaillent plus en français que les employés des entreprises actuellement soumises à la Charte (donc de plus de 50 employés).

Bien sûr, on peut argumenter que, sans la Charte, l’utilisation du français dans les grandes entreprises mondialisées serait encore inférieure à ce qu’il est actuellement. C’est possible. Mais il faut réaliser « qu’imposer la Charte », c’est se payer de mots, et s’enivrer avec l’illusion d’agir (ah! la puissance du mot  « imposer »!). La Charte est loin, très loin, de faire du français, comme le souhaitait le législateur en 1977, la langue « normale et habituelle du travail » dans les entreprises qui y sont soumises. C’est un tigre en papier.

Conclusion?

Les mesures actuellement mises de l’avant, bien que bénéfiques, ne permettront pas d’arrêter ou d’inverser l’anglicisation en cours dans la région métropolitaine de Montréal. La « francisation obligatoire » serait bénéfique, c’est clair, à condition de s’appliquer à l’ensemble des immigrants non francophones qui s’installent au Québec (en passant : cela s’appelle l’indépendance du Québec). Les autres mesures n’auront pas d’impact significatif.

Nous le savons déjà. Pas besoin d’attendre un autre vingt-cinq ans. D’ailleurs, il est douteux que le Québec français dispose encore d’autant de temps…

Il faut donc revoir la copie. Comme le disait feu Pierre Vadeboncoeur : « À l’époque où tout était pour nous immobile, nous pouvions durer par l’immobilité, mais nous ne le pouvons désormais que par le mouvement ».

 

 

Photo : Le Canada Français