Un syndicat qui a tiré profit de la rareté de main-d’oeuvre

2019/09/18 | Par Pierre Dubuc

Gleason Frenette est tout sourire lorsque nous le rencontrons dans les bureaux de son Syndicat, qui représente 2 400 travailleuses et travailleurs d’entretien à la Société de transport de Montréalé Quelque sept mois après l’entente intervenue avec la direction de la Société de transport de Montréal (STM), il continue à savourer une victoire chèrement acquise.

« On a livré toute une bataille et les quelques 1600 membres présents à l’assemblée générale ont approuvé à 96,5 % la nouvelle convention collective », s’enorgueillit-t-il avec raison, après deux ans et 180 rencontres de négociation, tout cela avec au-dessus de la tête l’épée de Damoclès de la loi 24. Adoptée en 2016, elle permet aux municipalités de demander la nomination d’un mandataire spécial qui peut, ultimement, décréter les conditions de travail des employés municipaux et des sociétés de transport.

Gleason s’empresse d’ajouter : « Les étoiles étaient alignées », en faisant référence à la rareté de la main-d’œuvre spécialisée et à la popularité croissante du transport en commun à Montréal, avec ses nouveaux trajets express, la prolongation de la ligne bleue du métro et la navette prévue pour compenser la fermeture de stations de trains de banlieue pendant la construction du REM.

Preuve s’il en est que le rôle du mouvement syndical est de tirer profit du marché de l’emploi et laisser le patronat s’égosiller sur les tribunes publiques pour se plaindre de la « pénurie de main-d’œuvre ». Preuve également que « virage vert » et « emplois » ne sont pas des termes antinomiques.


Ils ont ouvert la valve

Avec l’ajout de 300 autobus, la STM doit construire de nouveaux garages, mais aussi attirer et retenir des gens de métier. Gleason nous donne l’exemple des mécaniciens d’ascenseur. « Ils ont gagné le gros lot, parce que la STM prévoit de mettre en opération plus d’escaliers mécaniques dans le métro et qu’elle doit accoter les conditions offertes par l’entreprise privée, par exemple l’entreprise Otis, qui traite très bien ses employés. Ils ont été obligés d’ouvrir la valve à cash », se réjouit Gleason. Les mécaniciens d’ascenseur ne sont pas les seuls dont les primes ont augmenté. « Il y avait beaucoup de retard par rapport au privé pour nos 1 800 à 1 900 gens de métier. »

La STM a dû aussi bonifier son offre salariale.  Elle offrait 8,5% sur sept ans. Elle a accordé une augmentation de 2% par année, pendant les sept années de la durée de la convention collective, avec la possibilité de dépasser 2% au cours des deux dernières années en fonction de l’indice des prix à la consommation, avec un plafond de 3%. Elle a aussi octroyé une prime de compensation pour contrer les effets de la loi 15 et un rattrapage salarial pour les gens de métier.

En échange, le Syndicat a dû répondre positivement à certaines demandes patronales. « Le patron voulait plus de flexibilité, on leur en a donné, mais encadré. On a ajouté 70 pages à notre convention collective », précise Gleason en me montrant le document de 297 pages.

Des horaires de 12 heures seront instaurés, mais uniquement sur une base volontaire pour les employés déjà à l’emploi. « Les membres craignaient qu’avec le 12 heures, ils se fassent couper les heures supplémentaires. Ce n’est pas le cas avec le volontariat », souligne-t-il, tout en déplorant l’importance du surtemps. « L’an passé, il s’est fait 500 000 heures supplémentaires ! C’est l’équivalent de 300 postes permanent. On a dit à nos membres : ‘‘Voulez-vous que vos enfants trouvent du travail à la STM?’’ ».

« Déjà, constate Gleason, il y en a, parmi ceux qui l’ont choisi, qui trouvent des avantages à l’horaire de 12 heures. Au cours du mois, ils travaillent 16 jours sur 28, avec jusqu’à deux congés de 7 jours consécutifs. »

Gleason est surtout fier de la solidarité dont ont fait preuve les membres du Syndicat, tout au long de la période de négociations. « Quand Luc Tremblay, le directeur général de la STM a blâmé mes membres, lors d’une entrevue accordée à Mario Dumont, pour le nombre élevé d’autobus en réparation, ils ne l’ont pas pris. Plus de 600 mécaniciens ont débrayé spontanément. »

En fait, les nouveaux autobus hybrides – d’une valeur de 1 114 000 $ l’unité – ne sont pas encore au point. En plus des problèmes mécaniques, ils n’atteignent pas leurs objectifs en termes d’économie d’énergie, comme l’a révélé le journaliste Jason Magder de journal The Gazette. Les économies en carburant sont de 11 à 15 % par rapport aux autobus fonctionnant au diesel plutôt que le 30 % promis. Selon un rapport de la STM, cité par le journaliste, la batterie n’entre pas en opération lorsqu’il fait moins 10 degrés en hiver et le bus consomme 15 % plus de carburant lors des canicules l’été à cause de la climatisation, absente des autobus conventionnels.

Au terme de cette longue négociation, Gleason veut consacrer ses efforts à former une relève. « C’est très exigeant une négociation comme celle-là et je ne pense pas être là dans six, sept ans », déclare celui qui sera éligible à la retraite avant ce prochain rendez-vous.

Mais il ne craint pas la suite des choses. « Deux ans de négos, ça tisse des liens. Nous avons eu une participation record à nos assemblées. Nous avons une centaine de représentants syndicaux. Un par contremaître à certains endroits ! Et les jeunes veulent se battre. Ils veulent plus d’avantages sociaux. Et de meilleurs salaires. En fait, ils veulent les deux ».