Sanders et Warren veulent étendre la syndicalisation

2019/10/11 | Par Pierre Croteau

Deux candidats à l’investiture du Parti démocrate pour l’élection présidentielle de 2020 aux États-Unis, Bernie Sanders et Elizabeth Warren, ont récemment proposé plusieurs mesures qui auraient pour effet de favoriser la négociation collective des conditions du travail et de renforcer les droits des travailleurs dans leur pays.

Les plateformes de Sanders et de Warren concernant la démocratie industrielle sont détaillées et impressionnantes.

 

La faiblesse du mouvement syndical

Les deux candidats progressistes aux primaires démocrates font le même diagnostic : la graduelle diminution de la proportion des salariés américains qui appartiennent à un syndicat est allée de pair avec l’accaparement des revenus par une minorité de la population et un ratatinage de la « classe moyenne ».

Les études de l’Economic Policy Institute, un organisme de recherche proche du mouvement syndical, confirment que le taux de syndicalisation aux États-Unis est aujourd’hui aussi bas qu’il était durant les années 1920, pendant que l’inégalité dans la répartition du revenu national est aussi de retour au niveau extravagant de jadis.

C’est en 1935, avec l’adoption de la National Labor Relations Act (NLRA) par le Congrès, que les syndicats américains ont commencé de pouvoir se développer au profit d’une masse de travailleurs, au-delà du bastion traditionnel des ouvriers de métiers. Le Code canadien du travail, et au Québec la Loi des relations ouvrières de 1944, ancêtre du Code du travail du Québec, ont été fortement inspirés par la législation américaine de l’époque du New Deal.

Malheureusement, dès 1947, le Congrès et les législatures de plusieurs États de l’Union ont commencé d’introduire toutes sortes d’obstacles juridiques à la formation d’un syndicat dans une entreprise ou une branche d’activité et à la capacité du mouvement syndical de promouvoir les intérêts des travailleurs.

Le prétexte du « droit au travail »

Le sénateur Sanders et la sénatrice Warren veulent notamment faire invalider par une nouvelle législation du travail toutes les mesures qui ont pour effet d’empêcher un syndicat de prélever la cotisation syndicale auprès de tous les salariés protégés par la convention collective.

Au Canada, à la suite d’un arbitrage rendu en 1946 par le juge Ivan Rand dans un conflit de travail, les tribunaux font une distinction entre la cotisation syndicale, montant prélevé sur chaque paie en proportion du salaire gagné et qui sert entre autres à financer le fonds de grève et la bonne marche du syndicat, et d’autre part le montant forfaitaire, généralement dérisoire, versé par le salarié pour adhérer au syndicat et participer aux décisions.

Les tribunaux canadiens ont estimé que le dispositif de la « formule Rand » à l’intérieur d’une convention collective ne viole aucune loi et ne brime pas le principe sacré de la liberté d’association : tous les salariés dont les conditions de travail sont assujetties à ladite convention doivent payer, mais personne n’est obligé d’acheter la carte de membre du syndicat.

Au Québec, un syndicat n’a même pas à négocier et à gagner l’inclusion dans la convention collective d’une obligation pour l’employeur de prélever la cotisation sur les paies, puisque c’est le Code du travail lui-même, amendé en 1977 à l’initiative du gouvernement du Parti québécois, qui impose cette disposition.

Hélas, aux États-Unis, la loi fédérale en vigueur a permis aux lois de 27 États de l’Union d’interdire aux conventions collectives de contenir un dispositif similaire, en prétextant du droit individuel de travailler (« right to work ») sans être forcé de payer une cotisation syndicale.

Bernie Sanders et Elizabeth Warren veulent aussi que la nouvelle loi à faire adopter interdise à un employeur d’imposer au personnel d’assister à des assemblées de propagande antisyndicale.

 

Médiation obligatoire et conventions collectives sectorielles

Tout comme les militants syndicaux des années 1930, ceux de 2019 sont obligés de promouvoir la syndicalisation auprès d’une foule de travailleurs américains sans expérience de la vie syndicale.  Une partie du public ne perçoit même pas la pertinence de l’action syndicale.

Le souci de Bernie Sanders face à un monde des relations du travail sans familiarité avec la négociation collective transparaît dans l'importance qu’il accorde à la négociation de la première convention collective. Le sénateur du Vermont propose d’instaurer la médiation obligatoire dans ces cas. Cela signifie que si une des parties en négociation le demande, l'autre devra aller avec elle devant un médiateur du ministère du Travail qui proposera une convention collective que les parties peuvent ensuite accepter ou rejeter.

Bernie Sanders propose aussi de mieux protéger les grévistes contre les briseurs de grève. Certaines juridictions dont le Québec ont inséré une telle protection dans leur loi du travail. L’État fédéral canadien ne l’a pas fait, malgré plusieurs projets de loi à cet effet proposés par les députés du Bloc québécois.

De son côté, la sénatrice du Massachusetts Elizabeh Warren veut diminuer le pouvoir de lock-out de la partie patronale et utiliser les lois antitrusts américaines contre les employeurs en position de monopsone (acheteur unique) sur le marché du travail.

Warren, qui était professeur de droit avant de faire partie du gouvernement Obama puis d’être élue au Sénat, a une approche plus directement réglementaire que Bernie, et signe un manifeste plus long qui va souvent plus loin dans les détails, mais dont la lecture n’est pas moins un régal.

Les deux candidats à l’investiture présidentielle démocrate voudraient aussi que la future législation du travail autorise la conclusion de conventions collectives par secteur d’activité économique, plutôt qu’exclusivement par entreprise.

Dans le système nord-américain actuel, une convention ne peut être conclue qu’entre une association de salariés (syndicat local) et un employeur, même quand cette convention a été négociée « nationalement » entre plusieurs syndicats locaux et plusieurs employeurs, ce qui est relativement fréquent dans les services publics, mais trop rare dans le secteur privé.

La NLRA, conçue par la secrétaire au Travail du gouvernement Roosevelt (1933-1945), la sociologue Frances Perkins, et pilotée au Congrès par le sénateur new-yorkais Robert Wagner, fut contestée par le patronat dès son adoption en 1935. Le président Roosevelt passa à deux doigts de « paqueter » la Cour suprême de juges démocrates additionnels avant que le tribunal suprême finisse par estimer, en 1937, que cette loi et d’autres lois du New Deal n’étaient pas inconstitutionnelles.

Si Sanders ou Warren aboutit à la Maison-Blanche en janvier 2021, espérons que les juges à la Cour suprême auront la même sagesse que leurs prédécesseurs des années 1930.