Vote historique sur l’immigration à la Conférence du Parti travailliste

2019/10/11 | Par Mohamed Elmaazi

(Photo : Mohamed Elmaazi)

Mohamed Elmaazi examine comment les promesses historiques de la Conférence du Parti travailliste sur l’immigration marquent un changement significatif par rapport au racisme et à la xénophobie profondément enracinés dans certaines parties du mouvement syndical britannique.

Cet article a été publié conjointement par The Interregnum et Pressenza, son résumé qui n’en change pas le sens a été effectué par Pierre Jasmin pour l’aut’journal.

Assistant à la conférence du parti travailliste britannique à Brighton, j’ai été témoin de l’un des votes les plus importants de l’histoire du parti travailliste. Du 21 au 25 septembre, les délégués représentant des dizaines de syndicats de tout le Royaume-Uni ont discuté, débattu et voté des questions allant du réchauffement climatique à la reconnaissance du droit au retour des réfugiés palestiniens.

L’un des votes les plus mémorables concernait l’immigration et le traitement des personnes nées à l’étranger. Parmi les propositions approuvées à l’unanimité figurent les promesses d’engagement du Parti travailliste à : « fermer tous les centres de détention », « étendre l’égalité des droits de vote à tous les résidents du Royaume-Uni », mettre fin à toutes les « mesures environnementales hostiles » et « garantir le droit absolu au regroupement des familles » [des immigrés].


Un changement radical pour le mouvement syndical britannique

Il peut être difficile d’apprécier le caractère radical de ces politiques [qui tranchent avec de peu glorieuses politiques contre les immigrés de la part du Parti travailliste britannique depuis le siècle dernier et même dans les deux dernières décennies].

Jorge Martin de Socialist Appeal :

« Le Parti travailliste et le mouvement ouvrier, dans des domaines comme l’immigration, le racisme, les guerres impérialistes, etc., ont toujours été de part et d’autre de la barrière. La motion sur l’immigration s’inscrit dans la transformation du Parti travailliste sous Jeremy Corbyn et s’éloigne du We Must Celebrate the Empire de Gordon Brown et des Guerres impérialistes de Tony Blair ».

Pour comprendre l’importance de ce vote et l’importance du soutien unanime des électeurs et des délégués syndicaux, il convient d’examiner l’attitude historique du mouvement syndical britannique envers les travailleurs nés à l’étranger.

John Wrench, enquêteur principal au Center for Research in Ethnic Relations de l’Université de Warwick, dans son document politique Camarades inégaux : syndicats, égalité des chances et racisme, a décrit ainsi la situation en 1986 :

l’histoire montre que la trajectoire du mouvement syndical est caractérisée, au pire, par un racisme effroyable et souvent par une négligence indéfendable de la race et de l’égalité des chances. Entre les deux guerres mondiales, il y a eu un barrage de couleur dans l’industrie britannique, ouvertement soutenu par les syndicats individuels. (…) Ce qui est gênant, c’est que certains des cas les plus notoires d’hypocrisie syndicale et de racisme se sont produits depuis la Seconde Guerre mondiale. »

Car, malgré les pénuries de main-d’œuvre d’après-guerre, « ce sont les syndicalistes et les membres du Parti travailliste qui ont d’abord exprimé leurs objections envers ‘‘l’immigration de couleur’’ ». Cette réalité fut exacerbée par une direction qui :

« Se lavait les mains de toute responsabilité ou assistance dans l’accueil des immigrants. Le gouvernement travailliste était ‘‘aveugle’’ au racisme – il le percevait comme une préoccupation des personnes impliquées dans les affaires coloniales, ‘‘quelque chose d’externe, sans rapport avec le courant dominant du mouvement syndical’’ ».

 « L’attitude de laissez-faire du gouvernement [travailliste] a établi le modèle pour l’inaction qui a suivi le Congrès des syndicats (TUC). Le gouvernement travailliste était d’avis que toute disposition spéciale en matière d’aide sociale ou de logement serait discriminatoire à l’égard des peuples autochtones ». Sévissait un « manque général de sensibilisation aux questions de race et d’égalité des chances et des circonstances particulières des membres des minorités ethniques, réduisant en fait la participation des membres noirs dans le syndicat ». 
 

Un microcosme de la société en général et un changement d’attitude chez les jeunes

Notons que, d’un point de vue historique, les travailleurs noirs et asiatiques étaient statistiquement plus susceptibles d’adhérer à un syndicat que leurs homologues blancs/indigènes, malgré l’attitude plutôt méprisante des dirigeants syndicaux envers leurs préoccupations. Activiste, artiste et dramaturge, Jackie Walker, d’origine jamaïcaine, portugaise et russe, arrivé au Royaume-Uni en 1959, évoque le conseil du Parti travailliste de Bristol interdisant officieusement de fournir un logement social à la population noire !

Dans le train de retour de Brighton, après la fin de la conférence, Walker célébrait l’importance du vote sur l’immigration gagné par la Labor Left Alliance [Alliance de gauche du parti travailliste, un peu l’équivalent des Syndicalistes et progressistes pour un Québec libre (SPQ Libre) au sein du Parti Québécois].

Owen Lloyd-Jones, un jeune délégué du CLP du Nord-Somerset, a décrit les centres de détention comme « une manière cruelle et inhumaine de contrôler les personnes qui essaient simplement de vivre leur vie. » Quand je lui ai demandé pourquoi il soutenait le droit de vote de tous les résidents du Royaume-Uni, il a répondu :

« Il semble clair et évident pour la démocratie de base que les gens doivent voter pour les services qui les concernent, pour le gouvernement dont ils dépendent. La question n’est pas de savoir où vous avez commencé, mais où vous en êtes maintenant qui influe sur les services dont vous avez besoin. »

Cette façon de penser était commune aux délégués à qui j’ai parlé.
 

La façon dont ces politiques sont « expliquées » va faire la différence

Si la jeune génération britannique est peut-être plus informée et plus démocratique dans sa perspective, il est également vrai que certains éléments du Royaume-Uni restent enracinés dans leurs attitudes conservatrices, intolérantes et rétrogrades envers les résidents étrangers en général, et envers la population non blanche en particulier.

J’ai demandé à Jorge Martin s’il craignait que les promesses ne soient « trop radicales » pour la population britannique dans son ensemble et qu’elles ne finissent par être « contre-productives » pour le Parti travailliste. Il m’a répondu :

« Ça dépend de la façon dont on les explique. La classe dirigeante veut promouvoir l’idée qu’il y a un problème de manque de ressources et que cela affecte la santé, l’éducation, le logement, l’emploi, etc. La réponse que Corbyn a habilement présentée est la suivante : ‘‘Non, les ressources ne manquent pas, et les problèmes de prise en charge en matière de santé, d’éducation et de logement sont causés par des politiques d’austérité conservatrices’’; cela combiné avec le reste des politiques du travail liées au logement, à l’abolition des frais de scolarité, à l’abolition des frais de prescription, à la réduction de la semaine de travail, au plein droit à l’emploi dès le premier jour, au rétablissement des droits syndicaux, et à un salaire vital, etc. devraient faire un programme qui peut gagner et remporter des élections générales à une grande majorité ».

Traduction de Ginette Baudelet