Urgence kurde – Rojava

2019/10/18 | Par Pierre Jasmin

Caricature de Pascal Élie au Devoir

Les forces SDF du Rojava forcées de conclure une entente avec l’armée syrienne d'Assad pour repousser l'invasion turque, après que près de 800 combattants de l'état islamique (DAECH, ISIS), aidés par les bombardements turcs, se soient évadés, il est crucial de continuer à démontrer notre solidarité avec les peuples du Rojava. C'est pourquoi nous avons organisé une réunion d'urgence pour planifier les prochaines étapes en soutien au Rojava à Montréal. Nous encourageons fortement les groupes et les personnes intéressés à y participer dans ce moment critique et difficile pour ces gens qui ont déjà tant sacrifié.

Ce communiqué de la communauté kurde montréalaise fait référence à près d’une centaine de civils tués et à 160 000 réfugiés en déplacements.

 

Les incohérences du Président Trump

Les États-Unis envoient aujourd’hui en catastrophe leur vice-président Mike Pence et leur secrétaire d’État Mike Pompeo à Ankara, tandis que la Russie a invité Erdogan à Moscou pour le 22 octobre, ce qu’il a accepté. Le journal français Humanité écrit ce matin : « en annonçant le retrait de ses soldats du nord-est de la Syrie, Trump a donné le feu vert à la Turquie pour entrer en territoire syrien, créant ainsi une situation terrible d’un point de vue humanitaire et incompréhensible géopolitiquement. [Il s’agit d’un]feu vert à l’offensive planifiée de longue date par Ankara dans le nord-est de la Syrie contre les combattants kurdes des YPG (Unités de protection du peuple) et les Forces démocratiques syriennes (FDS, incluant les YPG et leurs alliés arabes). Ce n’est pas la première fois que Donald Trump prend sur ce dossier des décisions intempestives. En décembre 2018, alors que les Kurdes appuyés par la coalition internationale dirigée par Washington menaient contre les djihadistes une décisive bataille, l’hôte de la Maison-Blanche annonçait sur Twitter un retrait « imminent » des troupes US, prenant de cours le département d’État comme le Pentagone. Signe du malaise alors suscité dans son administration, le général Mattis, secrétaire d’État à la Défense, démissionnait au lendemain de cette déclaration. »

Hier, la Chambre des Représentants américaine a condamné la décision de Trump dans une motion adoptée à 354 voix contre 60, le plus étonnant étant de voir 129 voix de Républicains voter pour, sur les 197 élus qui y siègent. La motion exhorte « les États-Unis à maintenir le soutien aux communautés kurdes syriennes par une aide humanitaire. »

 

Nos nécessaires actions dérisoires 

Le 9 octobre 2015[i], les Artistes pour la Paix portaient au Consulat turc une déclaration du Collectif kurde, après deux attentats qui avaient causé une centaine de morts et plus de blessés encore, sans que la police turque n’en retrouve les auteurs : « Nous, citoyens et citoyennes de Montréal, voulons vous faire part de nos inquiétudes face aux actions du gouvernement turc lorsqu’elles sabotent et attaquent le mouvement libertaire kurde. Nous sommes particulièrement inquiets de la répression des éléments progressifs de la société turque (…) et exprimons notre indignation face à la violence de l’assaut antidémocratique que le gouvernement turc fait subir aux Kurdes… » 

Le principal parti pro-kurde de Turquie avait alors mis en cause le gouvernement. « Nous sommes confrontés à un État meurtrier qui s’est transformé en mafia», avait réagi le chef de file du Parti démocratique des peuples (HDP), Selahattin Demirtas, emprisonné depuis plus de deux ans avec des journalistes de médias alternatifs tels que Hurriyet, sans que les protestations occidentalo-européennes n’y changent quoi que ce soit.

 

Face à la guerre, l’impuissance de l’ONU et du Canada

Depuis une semaine, les bombardements turcs ciblent en Syrie Rojava et sa révolution sociale, basée sur des principes de démocratie directe, communautaire, féministe, écologiste, multiculturelle qui inspire non seulement les Kurdes et le Moyen-Orient, mais le monde entier. Pourquoi la Turquie agit-elle ainsi ? Erdogan, dont la gestion économique est désastreuse, chercherait à soutirer à l’Europe des avantages supplémentaires à ceux que lui avait permis son chantage à propos des millions de réfugiés submergeant son pays, déracinés par les guerres de l’OTAN en Iraq, Afghanistan, Libye et surtout Syrie, qu’il se déclare prêt à les laisser envahir ses alliés européens s’ils condamnent son action. Ce qui a provoqué lundi dernier une sortie dramatique du journaliste turc Can Dündar s’adressant excédé aux autorités européennes qui se gargarisent de vertueuses déclarations: «  Ne dénoncez plus, et surtout pas avec vigueur, TAISEZ-VOUS… OU AGISSEZ ».

L’ONU est impuissante face à une situation qui implique le membre incontournable américain du Conseil de Sécurité qui ne veut toujours pas reconnaître l’autorité d’Assad comme chef de l’état syrien ; or, les Casques Bleus ne peuvent être déployés qu’avec l’aval du Conseil et celui des deux parties guerrières en cause : on y viendra peut-être, si l’entrée de l’armée syrienne en guerre depuis deux jours repousse l’attaque turque. Peter Langille des Fédéralistes Mondiaux promeut depuis peu la création d’un United Nations Emergency Protection Service (UNEPS), appuyé par le NPD et le Parti Vert. Mais pendant que la France annonce qu’elle arrête de vendre des armes à la Turquie, notre lamentable ministre Freeland consent à « suspendre les nouveaux (sic) permis d'exportation [d’armes] vers la Turquie » ! Erdogan doit trembler devant cette menace…

 

L’irresponsable OTAN et ses bombes nucléaires en Turquie

Quant à l’OTAN, assez irresponsable pour détourner une guerre de son objectif principal (Libye 2011), la voici incapable de se concerter pour menacer la Turquie d’exclusion, si elle n’arrête pas cette guerre. Parlons-en de l’OTAN, avec la présence de cinquante bombes nucléaires B61 américaines à la base d’Incirlik, située pas très loin de la frontière syrienne en guerre. La porte-parole militaire Ann Stefanek, qui n’a ni voulu confirmer la présence de ces bombes ni si elles allaient être déménagées, a répété cette semaine sa propagande :

“The mission of the 39th [Air Base Wing at Incirlik] is to provide persistent surety and continuous air operations for the U.S., our allies and our partners and helps PROTECT U.S. and NATO interests in the Southern Region by providing a responsive and operational air base ready to project integrated, forward-based airpower.”

Tout à fait rassurant, n’est-ce pas?  Un officier américain a déclaré ses bombes nucléaires « otages du président Erdogan », d’une part vulnérables si on les laisse là, alors que d’autre part les retirer signifierait la fin de l’alliance de l’OTAN avec la Turquie. Pas étonnant qu’un expert américain en contrôle des armes, Jeffrey Lewis, ait exprimé le fond de sa pensée par un tweet frustré : « Seriously, it’s time to take our fucking nuclear weapons out of Turkey. » (sources Stephen Losey et Shawn Snow du magazine américain Air Force Times, information gracieuseté de Pugwash Canada).

 

[i] http://www.artistespourlapaix.org/?p=7787  il y a exactement quatre ans…