Le numérique et ses répercussions environnementales

2019/11/26 | Par Monique Pauzé

L’auteure est députée du Bloc Québécois.

Pendant la campagne électorale, une sympathisante libérale m’a demandé pourquoi j’envoyais des publications écrites à mes commettants puisque, selon elle, cela est néfaste pour l’environnement. Pour elle, la solution est simple, il faut contacter les gens par courriel ou encore sur les médias sociaux. Or, cette solution qui peut sembler simple et efficace comporte plusieurs aspects qui me posent problème.

Premièrement, nous n’avons évidemment pas accès aux adresses courriel de tous nos commettants, alors que le service postal nous permet de rejoindre tout le monde. Mais, dans cet article, je vais me concentrer sur l’aspect environnemental du numérique qui est loin d’être virtuel.

Trop souvent, les gens ne réalisent pas que leurs habitudes de consommation numériques ont de grosses répercussions environnementales. Selon le journaliste scientifique, Charles Prémont, 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) sont liées à l'industrie numérique et cette proportion pourrait atteindre 8 %, soit environ l'équivalent actuel de la part des émissions mondiales de GES attribuées aux voitures d'ici 2025.

La pollution numérique a plusieurs visages, il y a la pollution liée au fonctionnement global du réseau internet, celle liée à la fabrication des appareils électroniques à laquelle s’ajoute celle liée à l’usage que nous faisons d’internet.


Le stockage de données

Saviez-vous que certains chercheurs affirment que si Internet était un pays, il serait le troisième plus gros consommateur d’électricité au monde derrière la Chine et les États-Unis ? À l’heure actuelle, les ordinateurs, téléphones intelligents, centres de stockage de données, réseaux et objets connectés engouffrent de 10 % à 15 % de l’électricité mondiale, soit l’équivalent de 100 réacteurs nucléaires. Dans plusieurs cas, cette électricité provient malheureusement de centrales au charbon.

Si internet semble immatériel pour certains, les centres de stockage de données communément appelés les Data Centers sont des bâtiments bien réels où l’on retrouve un nombre faramineux de serveurs qui nous permettent de consommer divers services numériques.

Ces centres de stockage de données sont très énergivores puisqu’il faut non seulement alimenter les équipements informatiques, mais aussi les refroidir. En 2018, l’activité de ces centres représentait 1,3 % des émissions mondiales de GES et il est fort probable que ce bilan s’alourdisse au fil des ans en raison de la demande croissante des nombreux utilisateurs.


Nos appareils

Pour fabriquer nos ordinateurs, téléviseurs, tablettes et téléphones intelligents, il faut une quantité énorme de ressources naturelles non renouvelables, parfois très rares, qui sont transformées en composants électroniques avec des méthodes d'extraction et de traitement souvent très polluantes. Selon le Livre blanc Numérique et Environnement, un téléphone portable requiert environ 60 métaux différents, et seulement une vingtaine d'entre eux seraient actuellement recyclables.

Dans le même ordre d’idée, des géologues de l'université de Plymouth au Royaume-Uni ont passé un iPhone 4S sorti en 2011 au peigne fin pour découvrir que, pour un seul de ces vieux appareils, il faut extraire entre 10 et 15 kg de minerais. Or, si cette étude est récente, soulignons qu’il y a eu 10 nouvelles versions plus performantes de iPhone au cours des huit dernières années. Je parle ici de iPhone, mais il en va de même pour tous les types de téléphones intelligents.

Le numérique est bien loin d’être virtuel ou immatériel, ceux qui fabriquent nos appareils surexploitent les ressources naturelles, une façon de faire qui impacte directement sur l’environnement. Il ne faut pas perdre de vue non plus que les matières premières utilisées pour ces appareils ont souvent un niveau de toxicité élevé et que leur raffinage non seulement pollue, mais peut même aller jusqu’à empoisonner les populations locales.


Nos usages

Plusieurs études démontrent que les utilisateurs du numérique, c’est-à-dire vous et moi, sommes responsables de 50 % des gaz à effet de serre d’Internet.  L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) de France évalue le bilan carbone d’une simple requête effectuée sur un moteur de recherche à dix grammes de CO2, l’envoi d’un courriel à uatre grammes, l’ajout d’une pièce jointe importante peut faire monter l’empreinte carbone à 50 grammes et même un pourriel, non lu, pèse 0,3 gramme. Actuellement, on estime à 12 milliards les courriels qui sont envoyés chaque heure dans le monde.

Quand on sait que l’industrie du papier a fait de gros efforts pour limiter son impact sur l’environnement et que l’empreinte carbone des courriels est loin d’être négligeable, il nous est difficile de faire un comparatif direct des impacts environnementaux de ces deux formes de courriers. Plusieurs experts plaident cependant en faveur du papier, une ressource renouvelable qui permet de créer plus d’emplois que les courriels et qui contribue davantage à tisser un lien social.

Outre les courriels, visionner nos films et nos séries préférées en ligne a aussi une empreinte carbone significative. Selon une étude menée par un groupe de réflexion sur la transition énergétique, The Shift Project, la consommation de vidéos en ligne a généré pour l’année en cours jusqu’à 308 mégatonnes de dioxyde de carbone, soit l’équivalent des émissions de GES d’un pays de la taille de l’Espagne.

Au total, quatre grands types de contenus génèrent 60 % des flux de données mondiaux. Au sommet de la pyramide, il y a les séries et les films offerts sur les chaînes de diffusion en continu (34 %), qui sont suivis de près par les vidéos pornographiques (27 %), viennent ensuite les vidéos sur des chaînes comme YouTube (21 %) et les autres vidéos (18 %).

Il n’y a aucun doute, le numérique pollue et selon l'Union internationale des télécommunications (ITU), le nombre d'internautes en juin 2018 était de 4,2 milliards d’internautes soit 55 % de la population mondiale, alors que ce pourcentage avoisinait les 15 % en 2005. Plusieurs s’entendent pour dire que nous devrions dépasser les 5 milliards en 2020. Avec la hausse du nombre d’utilisateurs qui n’augure rien de bon d’un point de vue environnemental et la question du droit à la vie privée, il reste plusieurs aspects à aborder quand on parle du numérique.

À la lumière de tout cela, je continuerai d’informer les citoyennes et les citoyens de ma circonscription via les seuls moyens que la Chambre des communes met à ma disposition, c’est-à-dire des envois postaux et j’espère que cette jeune femme comprendra pourquoi.

 

Photo : canva.com