L’immigration temporaire et ses enjeux

2019/11/26 | Par Anne Michèle Meggs

L’approche très utilitariste du gouvernement actuel relative au dossier de l’immigration est devenue particulièrement évidente dans la foulée de la réforme annoncée le 30 octobre dernier du Programme de l’expérience québécoise (PEQ).

Réduisant sa politique d’immigration à un système de placement en emploi international pour les employeurs du Québec, le ministre aimerait bien miser sur l’immigration temporaire.

Le gros « hic », comme on le sait, est que l’immigration temporaire est contrôlée par le gouvernement canadien. C’est le gouvernement fédéral qui établit les critères pour les permis de séjour, de travail ou d’études. Il n’y a pas de planification du nombre de personnes qui seront acceptées. Si les critères sont respectés, la personne recevra son permis.

Le gouvernement de la CAQ a exprimé à plusieurs reprises sa volonté de négocier avec le fédéral pour exercer un contrôle sur le Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET), mais les chances de réussite sont entre minimes et nulles, et les enjeux financiers, liés à l’ouverture de l’Accord Canada-Québec, sont majeurs.

Face à ce problème de juridiction, le gouvernement fait ce qu’il peut. Lorsque l’économie roule bien, toutes les nations développées, incluant le Québec, entrent en concurrence pour la main-d’œuvre et les étudiantes et étudiants internationaux.

Un certain nombre d’entre eux ont comme objectif à long terme de s’installer dans le pays d’accueil. Une des « carottes » utilisées par le Québec pour attirer cette « clientèle » est un processus administratif simplifié pour l’acquisition de la résidence permanente, à condition qu’on respecte certains critères (notamment, la connaissance du français). D’où l’importance du Programme d’expérience québécoise (PEQ).

Revoyons les enjeux liés à cette approche.

Première question. Est-ce que l’immigration temporaire permet de résoudre les problèmes de pénuries de main-d’œuvre sur le marché du travail ? La réponse simple : Il n’existe aucune preuve à cet effet, concluait le Vérificateur général du Canada (VGC) dans son rapport sur le programme fédéral publié au printemps 2017.

Le PTET est censé être un programme de dernier recours pour les employeurs, qui ne trouvent pas de candidatures locales. Les constats de l’évaluation du VGC sont que, même si le ministère fédéral a réussi à diminuer le nombre de travailleurs étrangers en resserrant les critères, il n’a pas fait suffisamment d’efforts pour s’assurer que les employeurs utilisaient le programme uniquement en dernier ressort.

Le ministère n’a pas utilisé toutes les informations disponibles sur le marché du travail pour déterminer si des personnes du milieu visé pouvaient occuper les postes vacants. Il  n’a pas fait suffisamment d’efforts pour identifier les employeurs qui ne respectaient pas les exigences du Programme et il n’a pas mesuré les résultats du Programme ni son incidence sur le marché du travail.

L’approche préconisée par le gouvernement de la CAQ n’a donc pas fait ses preuves concernant les répercussions du programme sur le marché du travail. Mais, outre les enjeux juridictionnels et ces conclusions accablantes, pendant que le gouvernement caquiste révise sa réforme du PEQ, il est important d’examiner d’autres enjeux liés à l’immigration temporaire.

Une étude canadienne révèle que les résidents temporaires, devenus résidents permanents travaillant dans des emplois non spécialisés, gagnent beaucoup moins et pendant plus longtemps que les personnes arrivées par le processus de sélection permanente.

Rappelons que la réforme du PEQ, en réponse aux demandes des employeurs, visait justement à abaisser le niveau de formation requise, pour le volet études, et à recruter, pour le volet travail, des travailleurs pour des emplois exigeant moins de scolarité, donc à plus bas salaire.

De plus, le Globe and Mail a publié plus tôt cette année une enquête en profondeur sur le PTET. Un éditorial, au mois de juin, résumait les conclusions de cette enquête en affirmant que le programme semble presque fait sur mesure pour exploiter les migrants vulnérables à bas salaire, tout en soulignant qu’il nuit même aux Canadiennes et Canadiens les plus vulnérables. Le programme peut se justifier dans certaines circonstances (secteurs de la haute technologie ou de l’agriculture) pour des emplois à durée déterminée, mais embaucher des personnes de l’étranger à bas salaire dans le secteur des services a pour effet d’exercer une pression à la baisse les salaires et les conditions de travail de tout le monde.

Enfin, n’oublions pas le contexte linguistique dans lequel s’insèrent les personnes qui viennent travailler ou étudier au Québec. Presque la moitié des étudiantes et étudiants internationaux au Québec sont inscrits à McGill et Concordia. Selon le bilan de l’Office québécois de la langue française, 73 % des entreprises privées cherchent des personnes qui ont des compétences en anglais. Les personnes à statut temporaire peuvent envoyer leurs enfants à l’école anglaise.

Que ce soit pour des raisons linguistiques ou économiques, l’immigration temporaire à grande échelle, surtout avec un PEQ ouvert aux formations d’une plus basse scolarité et à des emplois à bas salaires, n’est pas un choix qui augure bien pour l’avenir du Québec, province ou pays.