Malaises et amalgames médiatiques

2019/12/02 | Par Pierre Jasmin

L’auteur est un pacifiste, président honoraire du Mouvement Québécois pour la Paix et membre des Conférences internationales Pugwash

La 63e réunion internationale Pugwash avec M. Cotta-Ramusino aura lieu à Doha en mars 2020

Un article dans La Presse du 30 novembre signé Mélanie Marquis et titré Malaise autour d’un vote du Canada CONTRE Israël aux Nations Unies alimente le malaise des Libéraux Anthony Housefather et Rachel Bendayan de confession juive en leur posant la question sous cette forme biaisée (qui fait la joie du député conservateur sioniste Erin O’Toole). Mais sachant que les titres sont le plus souvent donnés par des responsables autres que les auteurs des articles, je les invite à faire preuve de prudence diplomatique avant de synthétiser ou clarifier au point d’aggraver les problématiques.

Car, à l’ONU, on vote des résolutions, on ne vote pas « contre » ceux peu nombreux qui s’y objectent, une poignée de micro-pays et les États-Unis, d’un côté, 163 votes de l’autre dont celui du Canada et quelques abstentions de pays qui veulent bien se faire voir par Trump.

L’article nous informe que le politologue Sami Aoun estime qu’Ottawa vient de « rééquilibrer » sa position. « On peut considérer cela comme un virage important », soutient le professeur titulaire à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke. En empruntant ce virage dans la dernière ligne droite de cette campagne pour le siège au Conseil de sécurité, le Canada se retrouve dans le même camp que ses alliés européens, qui appuient traditionnellement ces résolutions – y compris la plus récente. « Il y a cette course en trame de fond. Le Canada n’est pas favorisé comparativement à ses deux concurrents, l’Irlande et la Norvège, et il a des froids diplomatiques avec des pays arabes importants », observe le professeur Aoun.

Comme le professeur Aoun, nos commentaires sur le changement de ministre des Affaires étrangères en notre article du 22 novembre[i] se demandaient si on assistait à une hypocrisie diplomatique momentanée ou à un vrai retour (Canada is back !) aux idées de Stéphane Dion ou de feu Gérard Pelletier.

Face à ces points de stratégie politique, le fond à soulever, c’est pourquoi les Artistes pour la Paix, par exemple, ont souvent refusé d’appuyer des résolutions palestiniennes qui ne faisaient pas la différence entre Israël et le gouvernement de Netanyahou (d’ailleurs présentement inculpé). Il est vrai que ses succès électoraux favorisent au détriment d’Israël ce genre d’amalgame qui, comme le titre de La Presse, condamne des pays pour la prise de position de leurs leaders : CELA N’AIDE EN RIEN LA PAIX. Notre prise de position du 23 février 2016[ii] a marqué le début de nos différends avec les positions de plus en plus conservatrices du gouvernement Trudeau, ne faisant pas cette élémentaire part des choses diplomatiques.

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Portons maintenant notre attention sur les pourparlers des autorités mondiales de Pugwash avec les Taliban ou avec des officiels palestiniens. Leurs constats ont l’avantage d’exposer sobrement des faits à partir desquels on peut exercer notre imagination afin de les influencer positivement. Par exemple, le rapport de leur réunion du 11 novembre dernier avec des Palestiniens fait état que :

  • La condition quotidienne de leurs vies s’est aggravée en 2019, face à ce qu’ils considèrent comme un programme de colonisation de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza, avec la complicité de l’administration américaine.
  • La décision de cette dernière de reconnaître Jérusalem comme la capitale d’Israël y est vue comme contraire aux accords d’Oslo où son statut était « négociable ».
  • Le retrait des États-Unis de l’UNWRA et la mise en otage des transferts de taxes à l’Autorité palestinienne a ébranlé la sécurité sociale et économique en Cisjordanie.
  • Cette oppression est vue comme une forme de « nettoyage ethnique » qui fait fuir les jeunes Palestiniens éduqués hors de leurs territoires.
  • Les négociations du Premier ministre Netanyahou avec les États du Golfe, le Koweit et l’Arabie saoudite, sont perçus comme nuisant aux droits humains et à la normalisation des liens palestiniens avec les pays arabes.
  • Constatant en outre que l’Iran et la Turquie défient l’autorité sur le monde de l’Islam de l’Arabie saoudite, ils ne croient pas au plan « de paix » Kushner.
  • La solution de deux États est leur seule façon d’envisager un avenir où ils pourraient exercer un contrôle sur leur État, considérant qu’Israël ne considère plus un seul État DÉMOCRATIQUE comme option viable.
  • Les Palestiniens sont en faveur d’élections parlementaires, puis présidentielles pour rafraîchir leur démocratisation et leur unité, et pour atténuer la séparation entre la Cisjordanie et Gaza.
  • Présentement, ils n’ont AUCUNE CONFIANCE en les États-Unis et regardent plutôt vers l’Europe pour une aide concrète.
  • Le mouvement BDS est vu positivement par les Palestiniens.
  • Malgré leur perte de confiance envers un rapprochement avec Israël, ils restent ouverts à des rencontres du même type que celle-ci initiée par Pugwash.

On peut comprendre la méfiance des Palestiniens lorsqu’on examine, par exemple, «l’accord technique » signé par la Commission européenne en 2005 avec Israël  pour traiter du commerce des produits des colonies, que l’UE garde secret à la demande d’Israël. Même si la Commission européenne a demandé à plusieurs reprises à Israël de cesser ses activités de colonisation de peuplement, les Palestiniens lui reprochent à bon droit cette diplomatie secrète et que, ne joignant pas l’acte à sa parole, elle garantit que les colonies de peuplement d’Israël prospèrent et s’étendent à leur détriment, donc à celui de la paix.