Cégep : Le dépôt patronal est une mélasse imbuvable

2020/01/06 | Par Alain Dion

L’auteur est responsable de la coordination et des pratiques syndicales au cégep de Rimouski

C’est parti. La négociation 2020 a véritablement pris son envol au cours des derniers jours avec le dépôt patronal des matières intersectorielles (salaire, retraite, droits parentaux, etc.) et le dépôt des matières sectorielles (tâche enseignante et conditions de travail, précarité et insécurité d’emploi, autonomie professionnelle, etc.). Deux dépôts reçus avec un mélange d’inquiétudes, d’incrédulité et passablement de déceptions, laissant entrevoir une négociation difficile. Mais faut-il vraiment s’en surprendre?


Une offre salariale minimale

Première offre à tomber sur la table le 12 décembre dernier, la proposition salariale du gouvernement du Québec ne permet même pas de couvrir minimalement l’inflation appréhendée. Non seulement l’augmentation de 7 % proposée sur 5 ans ne favorisera pas une attraction de nouvelles personnes vers les services publics qui en ont bien besoin, mais elle mènera à l’appauvrissement de l’ensemble des travailleuses et travailleurs de l’État du Québec. Pour un premier ministre qui ne jure que par des emplois bien payés, on repassera.


Des questions et des inquiétudes

Le dépôt sur les matières intersectorielles soulève également des questions concernant les intentions gouvernementales en matière de retraite, en laissant planer la possibilité de revoir le salaire utilisé pour le calcul de la rente. Mêmes inquiétudes au sujet de la révision du mode de calcul des indemnités liées aux droits parentaux annoncée par le gouvernement.


Détourner le sens de la négociation

Autre sujet de discorde de ce dépôt intersectoriel : la mise en place de trois forums visant à discuter des priorités gouvernementales : santé globale des personnes salariées, réussite éducative, et accessibilité aux soins dans les CHSLD et aux soins à domicile. Ces forums « devraient » avoir terminé leurs travaux le 30 avril 2020.

En plus de ralentir l’ensemble des échanges aux différentes tables de négociations, cette invention du gouvernement risque de diviser les troupes syndicales, de briser les solidarités déjà difficiles à créer et surtout de faire diversion quand viendra le temps de se mobiliser. Comment pourrait-on cautionner la création de telles entités parallèles quand nous sommes par ailleurs soumis aux règles extrêmement contraignantes de la Loi 37, cette fameuse loi régissant les négociations du secteur public? Qu’adviendra-t-il de notre droit de grève si l’on accepte de travailler à ces forums hors Loi 37, par exemple?


« Souplesse », précarisation de l’emploi, contrôle et positions antisyndicales

Si le dépôt des matières intersectorielles soulève davantage de questions qu’il offre de réponses, il en va tout autrement de celui concernant la tâche enseignante et nos conditions de travail. Ici, les objectifs de nos directions de collèges sont très clairs : se donner le plus de marge de manœuvre possible et avoir le plus de contrôle possible. Pour y arriver, la partie patronale propose à la fois de diminuer l’accès à l’information, de retirer les obligations de consultation prévues à la convention collective en lien avec les nouveaux modèles d’organisation d’enseignement et de se soustraire à l’obligation actuelle de consulter le syndicat avant de procéder à tout changement technologique. On appelle ça la nouvelle collaboration…

Le développement de la formation continue est également au cœur des demandes patronales, qui souhaite à la fois « assouplir » les règles d’utilisation et le processus d’attribution des charges à la formation continue, et minimiser les restrictions à l’embauche du personnel enseignant. Le mode de fonctionnement actuel de la formation continue est déjà opaque; que nous réserve l’avenir avec de tels objectifs?

Les directions de collèges reviennent également à la charge avec un dossier qu’ils traînent depuis longtemps : la vie programme versus la vie départementale. Les objectifs sont de revoir les rôles des coordinations de programmes, de clarifier les rôles et responsabilités de l’assemblée départementale relativement à leur participation à la gestion des programmes, et de revoir la répartition des ressources entre les coordinations départementales et les coordinations de programme. Beau « programme », n’est-ce pas?

Au sujet de notre travail plus quotidien, nos directions de collège souhaitent revoir la valeur de la CI maximale (on peut imaginer que ce n’est pas pour la diminuer). Ils veulent aussi procéder à davantage d’évaluations, introduire une nouvelle période de probation et bien sûr « assouplir » les modalités régissant le retrait de priorité d’engagement. Bienvenue dans la profession enseignante!

Pour terminer, nos employeurs souhaitent également revoir certaines modalités d’application de la sécurité d’emploi et de la sécurité du revenu, et faciliter le transfert des enseignantes et enseignants entre collèges. Peut-on ici voir poindre un « assouplissement » des règles régissant les mises en disponibilité? Nous le saurons assurément rapidement.


Jusqu’où jouerons-nous le jeu?

Alors, déçus de cette mélasse patronale? Bien sûr. Choqués, même. Surpris? Pas du tout, par contre. Ce dépôt patronal n’a vraiment rien de surprenant. C’est maintenant la tendance, pour la partie patronale, de faire fi de nos demandes. Depuis au moins trois ou quatre négociations, nos employeurs présentent des demandes patronales au lieu de réagir à nos revendications. La Loi 37 leur accorde d’ailleurs jusqu’à 60 jours, après notre dépôt syndical initial, pour analyser nos demandes et y répondre. Dans ce dépôt patronal, aucune allusion, aucune réaction à nos demandes.

Nous avons donc une fois de plus perdu deux mois de négociation. Deux mois d’attente inutile pour se faire resservir les marottes patronales habituelles. À ce titre, nous pouvons d’ailleurs penser que ce dépôt est écrit depuis belle lurette, reprenant les litanies coutumières : souplesse, contrôle et positions antisyndicales. Alors pourquoi faire autant poireauter notre comité de négociation? Mépris ou mauvaise foi? Dans le préambule du dépôt sectoriel, les représentants de la partie patronale ont le culot d’affirmer vouloir s’engager dans « une négociation menée avec rigueur, où les parties recherchent, dans un climat de respect et d’ouverture, des solutions satisfaisantes pour tous ». C’est une véritable farce.

Nous nous sommes laissé enfermer dans ce manège de la Loi 37 depuis trop longtemps. Il serait peut-être temps de réagir. De secouer la cage. Combien de temps encore dépenserons-nous temps, argent et énergie pour respecter des règles qui ne servent qu’une des deux parties? Jusqu’où jouerons-nous ce petit jeu cynique?