Résistance à un projet de pipeline en Colombie-Britannique

2020/01/08 | Par Geneviève Dorval

L’auteure est chargée de projet dans un centre de réadaptation en dépendances, Québec

Dans le monde du militantisme environnemental et de la défense des droits des autochtones, tous les yeux sont tournés vers la Colombie-Britannique, où la nation Wet’suwet’en craint une violente et imminente répression de la GRC à la suite d’une escalade des tensions autour du passage d’un pipeline. La nation a lancé un appel international pour une semaine de solidarité du 7 au 12 janvier.

Voici tout d’abord un peu de contexte. La nation Wet’suwet’en est l’une des 198 nations autochtones distinctes de la Colombie-Britannique. Cette nation occupe un territoire traditionnel de 22 000 km2 au centre de la province, territoire qui n’a jamais été cédé. La nation Wet’suwet’en est composée de cinq clans qui occupent chacun une partie du territoire et chaque clan a les pleins pouvoirs, en vertu de sa loi, du contrôle de l’accès à son territoire. L’un de ces cinq clans, les Unis’tot’en, sont au cœur de la résistance contre les pipelines depuis la dernière décennie.

En 1997, la nation Wet’suwet’en a célébré une victoire à la Cour suprême du Canada, où la justice reconnaissait que la nation n’avait jamais cédé son territoire traditionnel. Du même coup, les chefs héréditaires étaient reconnus comme détenteurs légitimes de l’autorité sur leur territoire.

Le territoire des Unis’tot’en est convoité depuis plus d’une décennie par diverses entreprises d’exploitation de ressources pour y faire passer des pipelines, menaçant la faune, la flore et les activités traditionnelles autochtones.

Le site web de Unis’tot’en répertorie des actions de protection du territoire contre une dizaine de projets miniers ou de pipelines portés par trois entreprises.

La résistance s’est organisée en particulier à partir de 2010, où des barrières d’accès au territoire ont été érigées et un grand campement a été bâti à l’endroit proposé pour le passage des pipelines. De nombreux alliés autochtones et non-autochtones ont contribué à faire grandir ce campement, avec notamment un jardin de permaculture et un centre culturel et de rétablissement alimenté par l’énergie solaire.


Résistance au projet Coastal GasLink

Le 2 octobre 2018, les gouvernements de Justin Trudeau au fédéral et de John Horgan en Colombie-Britannique approuvaient le projet Coastal GasLink, de TransCanada, qui doit traverser les terres Wet’suwet’en. En donnant l’aval à un tel projet sans le consentement des chefs héréditaires, les deux gouvernements allaient non seulement à l’encontre de la loi Wet’suwet’en et de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, mais ils faisaient également fi de la décision de la Cour suprême de 1997.

En novembre 2018, Coastal GasLink fait une demande d’injonction et menace de poursuivre certains membres de la nation pour l’occupation et l’obstruction de leur propre territoire traditionnel. En janvier 2019, il y a un an, la plupart d’entre nous au Québec et ailleurs dans le monde entendaient pour la première fois parler de Unist’ot’en, alors que la GRC faisait une intrusion violente dans le territoire et arrêtait une douzaine de personnes, dont une personne aînée. Des images choquantes de l’assaut de la GRC avaient beaucoup circulé et une réponse de solidarité internationale inédite était survenue dès le lendemain, avec des actions de solidarité dans 70 villes dans le monde.

Le 20 décembre dernier, le journal The Guardian a publié une enquête à la suite de l’obtention de documents démontrant que lors de l’intrusion de janvier 2019, la GRC était prête à faire usage de toute la violence nécessaire, y compris mortelle, à l’encontre des résistants afin de « stériliser le site ».

Jusqu’à maintenant, les Unist’ot’en ont résisté à tous les projets de pipeline, mais ils remarquent que depuis un an, la répression a été plus violente que jamais. Ils disent être constamment harcelés et surveillés par la GRC, et TransCanada a procédé à la destruction d’une aire de territoire, notamment pour la construction de logements pour ses employés.

Le 31 décembre 2019, la juge de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, Marguerite Church, a accordé une injonction contre les membres de la nation Wet’suwet’en qui surveillaient et protégeaient les territoires traditionnels. La décision a été rejetée par les chefs héréditaires des cinq clans, et ils ont délivré et imposé un avis d’expulsion des travailleurs de Coastal GasLink de leur territoire. Le dernier travailleur de CGL a été escorté par les chefs de Wet’suwet’en le samedi 4 janvier dernier.

La tension monte toutefois et les Unist’ot’en s’attendent à nouveau à des représailles pour avoir fait respecter leurs lois et les décisions de leurs chefs. Considérant l’histoire récente du territoire ainsi que les révélations du journal The Guardian, il y a lieu de croire que cette répression pourrait être très violente.

Le 7 janvier, à l’occasion de l’anniversaire de l’assaut de la GRC sur le territoire traditionnel, la nation Wet’suwet’en lance une semaine de solidarité internationale où tous les alliés autochtones et non autochtones sont appelés à soutenir la souveraineté autochtone et la nécessité d’arrêter les projets d’extraction de ressources.

La situation qui se joue présentement est historique. Les enjeux sont particulièrement élevés puisque le projet de Coastal GasLink est le plus grand investissement privé de l’histoire du Canada.

Il s’agit d’un projet de pipeline immense qui acheminerait du gaz fracturé sur 670 km, avec les risques de fuite qui viennent inévitablement. De plus, nous sommes actuellement à un point de rupture où la crise climatique exige que nous refusions des projets qui promettent d’aggraver la situation.

Les Unist’ot’en tiennent un site web (http://unistoten.camp/supportertoolkit2020/) où ils donnent des exemples de petites et grandes actions pour les soutenir à la hauteur de nos capacités. Ils invitent les gens à se rendre physiquement sur place, faire pression sur les élus, organiser des sessions d’éducation ou faire un don (leurs frais légaux sont faramineux).

Les autochtones sont bien souvent au front de la bataille contre le capitalisme et l’exploitation destructrice de ressources. Ce sont eux qui se tiennent debout devant la violence coloniale comme à Standing Rock, Oka, Elsipogtog et des centaines d’autres sites de résistance. Ce sont eux qui protègent directement la Terre, souvent au péril de leur vie, et mènent finalement le combat de toute l’humanité. Entendre leur appel à l’aide et soutenir leur lutte est l’une des meilleures manières de s’engager collectivement dans une transition juste et donner une chance au vivant.