« Nous ne sommes pas des comptables… »

2020/01/21 | Par Michel Rioux

Nous ne sommes pas des comptables, comme l’a écrit le poète Saint-Denys Garneau. Un cri du cœur repris il y a quelques années par l’écrivain Yvon Rivard dans un manifeste percutant.

Nous ne sommes pas des comptables, mais ! Mais quand on tente de nous en passer une p’tite vite, nous ne sommes pas niaiseux au point de ne pas nous en rendre compte !

Le 2 janvier, à 10 h 09, les cent chefs d’entreprises les mieux payés au Canada – on dit chefs et non cheffes, quatre femmes seulement se retrouvant dans cet aréopage – avaient déjà touché l’équivalent de ce qu’un travailleur dans la moyenne gagne en un an. Le temps le plus rapide depuis 13 ans ! En dix ans, les revenus de ces chefs d’entreprises ont grimpé de 61 % pendant que ceux des travailleurs n’augmentaient que de 2,6 %.

Oxfam révélait il y a quelques jours que 2153 milliardaires possédaient davantage de richesse que plus de 4 milliards de personnes sur la planète.

« Tu penses qu’on s’en aperçoit pas ? », chantait Gilles Vigneault dans le temps…

On raconte que Lucien Bouchard, négociateur des médecins spécialistes, est allé saluer les employés de M. Dubé après avoir conclu une entente avec le président du Conseil du Trésor et que ces derniers en avaient été « impressionnés ». J’imagine la tête de l’ex-premier ministre, tel un matou qui vient de se mettre sous la dent quelques oisillons trop téméraires… Car quels sont les faits ? Ce qui était au départ une tonitruante réclamation d’un milliard de dollars par année s’est réglée sur la création d’un éventuel Institut de la pertinence ! Qui aura pour mandat de réduire de 500 millions de dollars des gestes et des diagnostics considérés impertinents posés par les médecins spécialistes !

Nous ne sommes peut-être pas des comptables, mais nous sommes encore capables de voir qui a roulé qui dans la farine…

Le jour où il offrait moins que l'inflation aux travailleuses et travailleurs du secteur public, on apprenait que Christian Dubé a touché, pour 8 mois de présence à la Caisse de dépôt et placement, 1 million $ en primes. On ignore son salaire pour l’année 2018. Mais, pour les trois années précédentes, il a cumulé 3 millions $ en salaire et 2,47 millions $ en primes. La CDP, c'est pourtant là que les travailleuses et les travailleurs du public et du parapublic déposent leurs économies, dont le fruit sert à payer ces dépenses scandaleuses, dont une pension sans doute fort lucrative après... quatre années de service !

C’est le même président du Conseil du Trésor qui, dans une première offre aux éducatrices en services de garde en milieu familial, faisait passer le salaire horaire de 12,42 $ l’heure à 12,48 $... Un gros 6 cennes !

Dans sa mise à jour économique de novembre, le ministère des Finances estimait que les salaires devraient augmenter de 5,4 % en 2019 et de 4,5 % en 2020, et de 3 % les années suivantes dans les secteurs public et parapublic. Or, les offres présentées par Christian Dubé sont loin des chiffres du ministère des Finances : 1,75 % en 2020-2021, 1,75 % en 2021-2022, 1,5 % en 2022-2023, 1 % en 2023-2024 et un autre 1 % en 2024-2025.

Le ci-devant de préciser que ces offres constituaient un plancher et qu’elles avaient peut-être vocation à amélioration. M’enfin ! Me semble qu’entreprendre l’escalade du mont Everest à partir du fond d’une mine, à un kilomètre de la surface, c’est se donner ben de l’ouvrage inutilement !

Dans son dernier rapport sur le sujet, l’Institut de la statistique du Québec, dont on sait qu’il est, comme le ministère des Finances, un repaire de gauchistes, indique que la rémunération globale de l’administration publique québécoise affiche un retard de 6,2 % en regard de l’ensemble des autres salariés du Québec. Sans compter qu’en raison de la rareté de la main d’œuvre, la désorganisation des milieux de travail serait la conséquence du départ vers le privé ou vers d’autres administrations publiques, d’un grand nombre de travailleuses et de travailleurs.

Il faut vraiment avoir du front tout le tour de la tête, pour reprendre une expression du terroir québécois, pour agir comme le fait monsieur Christian Dubé. Eût-il été à la cour de la reine Marie-Antoinette, il aurait certes été le prince poudré lui suggérant de répliquer à cette plèbe qui mourait de faim et qui prenait d’assaut Versailles : «  Quoi ! Ils n’ont pas de pain ? Eh bien ! Qu’ils mangent de la brioche ! ».

Comptable de son état, force est de constater que monsieur Christian Dubé est à ranger dans la catégorie des individus dont il serait exagéré de convenir qu’ils sont hors du commun.

Décidément, quand on regarde l’ensemble, on se dit que Blaise Pascal aurait considéré qu’en l’état, l’esprit de géométrie l’emporte chez lui sur l’esprit de finesse.