Guaido à Ottawa

2020/01/30 | Par Guy Roy

Dans une visite presque secrète, tellement elle est inopportune, Justin Trudeau a reçu le président auto-proclamé (la presse est au moins claire là-dessus), Juan Guaido. Cette visite protocolaire d'un dirigeant reconnu par seulement 50 pays, de l'aveu même du Canada, et désavoué par les autres comme un imposteur du droit du peuple vénézuélien à son autodétermination, cette visite n'a pas eu les répercussions attendues puisque la presse, de moins en moins naïve sur la situation, est obligée de reconnaître la durabilité de Maduro malgré les vexations de gauche et de droite qui l'accablent.

En effet, Maduro, en habile politique, a reconnu l'élection de l'opposant de droite, le député Passa, comme président de l'Assemblée Nationale du Venezuela. Guaido a en effet été battu au vote à cette assemblée pour la diriger. Il n'est donc plus officiellement qu'un député de cette assemblée et est interdit de sortie du pays.

Il y a bien des chances qu'il ne soit pas arrêté à son retour de la tournée mondiale désespérée qu'il a entreprise en Angleterre, en France et à Davos. La tolérance de Maduro à l'égard de l'opposition est à rapprocher de la corde que l'on donne à l'adversaire pour se pendre. En effet, cherchant les appuis chez les maîtres du monde, Guaido se discrédite de plus en plus aux yeux de l'opinion internationale. Son dernier voyage à Davos le coopte dans le camp des riches et des puissants dont n'ont que faire les Vénézuéliens instruits et mobilisés par la Parti Socialiste Unifié du Venezuela de Chavez qui ne relâche pas la tension.

Les Libéraux ne cachent plus leur opposition au gouvernement affiché socialiste de la révolution bolivarienne de Chavez. Cela ajoute à la suspicion des intentions de défendre au Venezuela les droits de l'homme dont l'opposition jouit aux yeux de la communauté internationale. S'en servir comme d'une arme contre le gouvernement légitimement élu de Maduro n'en démontre que la tolérance habille de ce pouvoir révolutionnaire qui respecte plus que tout autre les droits humains et une liberté d'une presse qui ne cesse de l'attaquer de l'intérieur.

Le reportage de Radio-Canada illustre encore un parti pris inconditionnel pour Guaido, mais il ne pourra pas durer indéfiniment devant la solidité populaire et soutenue par l'armée du gouvernement de Maduro. Déjà l'opposition dans la ville même de Guaido est entrée en «léthargie», selon les mots de ses partisans qui ne voient plus d'issue à ce pouvoir «armé» qui n'aurait, selon eux, que peu d'appuis populaires. Pourtant, la capacité des partisans de Guaido à mobiliser dans de vastes manifestations s'est essouflée. Et on n'assiste plus à Caracas qu'aux témoignages de gens qui s'organisent en communes pour s'accaparer un pouvoir différent que ce que Guaido représente et leur promet : le retour d'une oligarchie dans laquelle une partie des classes moyennes met encore ses espoirs, mais sur laquelle les populations pauvres du pays, support du gouvernement socialiste, ne se font plus d'illusion.

Même jusqu'à un certain point critique des chavistes, les gens n'attendent d'une intervention étasunienne, dont le gouvernement canadien a pris ses distances et qui est de moins en moins probable, que plus de misère, instruits qu'ils sont du cul-de-sac de la longue et pénible collaboration de l'oligarchie avec l'impérialisme américain. Ce qu'on enseigne aux peuples en méprisant leurs aspirations à plus de pouvoirs sur leurs vies, c'est que ceux qui le leur offrent ne sont pas des ennemis malgré les difficultés où les mettent embargos et sanctions.

Le Canada y collabore, ignorant les leçons de l'histoire qu'auraient dû lui apprendre la résistance de Cuba et celle des socialistes en général contre les offensives libérales du monde capitaliste. Il y une tradition révolutionnaire dont a appris le Venezuela, le Parti Socialiste Unifié du Venezuela de Maduro, entre autres, et qui se reflète dans sa référence aux autres révolutions du monde et à la recherche d'indépendance des peuples qui a poussé Maduro à soutenir les Catalans dans leur lutte nationale contre l'Espagne.

Si le Canada n'apprend pas de cette situation qui est en train de se retourner contre lui, le groupe de Lima et les États-Unis, c'est tout le Québec qui saura reconnaître dans la résistance du Venezuela une partie de la sienne au colonialisme sous ses formes les plus modernes et les plus contemporaines de nos luttes contre le fédéralisme. Le Québec n'est pas aussi sympathique à Cuba pour ses plages de rêve que pour sa noble lutte de résistance à l'impérialisme qui l'honore. Le Venezuela reproduit cette lutte de libération nationale dont le Québec a tant à apprendre pour lui-même et pour la réalisation de son destin.