La canadianisation des prénoms québécois

2020/03/11 | Par Jean-François Vallée

Dans mon article précédent, « Le triomphe des William, Logan et Liam », j’ai montré, à partir des données de l’Institut de la statistique du Québec, que les prénoms les plus populaires au Québec depuis plusieurs années sont en réalité des prénoms anglais. C’est le triomphe des William, Logan, Liam et Noah pour les garçons et les Emma, Olivia et Charlie pour les filles.

Il reste maintenant à élargir l’échantillon aux 50 ou 100 prénoms pour voir si la tendance se maintient et, surtout, à les comparer avec d’autres provinces canadiennes.

Ce qui frappe le plus quand on compare la popularité des prénoms dans les provinces anglophones et qu’on les compare avec ceux du Québec, c’est que l’écart s’est tellement amenuisé qu’il ne parait presque plus. Toujours selon l’Institut de la statistique du Québec, 42 700 garçons et 41 100 filles sont nés en 2018 au Québec. Les dix prénoms les plus fréquents sont donnés en moyenne à 11 % des filles et à 13 % des garçons.

Voici ce que donne une compilation des dix prénoms les plus populaires chez les deux sexes en 2018.

Si Jacob et Jo(nathan) viennent de la langue hébraïque, ils sont plus courants en anglais et, jusqu’à récemment, rares en français. Liam est un diminutif de William, d’origine irlandaise, donc courant en anglais. Thomas étant courant dans les deux langues, ils sont répartis également.

Certains cas sont particuliers. Par exemple, Maïly (prononcez ma-i-li) est bien d’origine française, mais quand les admiratrices de Miley Cyrus nomment leur fille en son honneur, elles l’écrivent et le prononcent bel et bien à l’anglaise.

Des totaux surprenants

On en arrive à des totaux surprenants où plus de la moitié des 10 prénoms féminins les plus populaires au Québec et plus des deux tiers des prénoms masculins sont anglais !

Quand on descend dans la liste en parcourant les 100, voire 500 noms les plus populaires, on se rend vite compte qu’il est inutile de faire une compilation serrée des chiffres : la tendance se maintient jusqu’à la toute fin.

Un élément inattendu qui frappe est que la tendance est beaucoup plus prononcée du côté des garçons. De tout temps au Québec, on a associé l’anglais à la virilité et le français à la féminité. Est-ce parce que l’anglais est plus guttural, comme ses sœurs germaniques que sont l’allemand et le néerlandais, et que l’accent tonique renforce ses consonnes souvent fortes comme le K, le W, le Q ? Qu’on l’associe aux affaires, au commerce, alors que le français est cantonné, réduit à l’amour, à la poésie ? Toujours est-il que quand on entend des chansons bilingues chantées par des duos mixtes, c’est la plupart du temps l’homme qui chante en anglais, et la femme en français.

Une autre tendance de fond consiste à orthographier à l’anglaise de prénoms d’origine française. Ainsi, Ophélie devient Ofély, Laure devient Laury, Maïly devient Miley, Guillaume devient William ou Liam, etc.

Partout où on peut, on transcrit le son « i » par « y » (Laurie devient Laury), les « c » ou « ch » par des « k » (Victor devient Viktor).

Par ailleurs, les prénoms composés se raréfient. Les Jean-Phillipe et autres Louise-Andrée et Marie-Claude sont remplacés par des prénoms courts, ou de curieux hybrides bilingues comme Maely-Belle ou Maely-Marie, Alexis-James, etc.

Le prénom Lyvia (98) illustre bien deux tendances (y + a), et aussi celle de pratiquer l’apocope. En anglais, on tend en effet constamment à raccourcir les mots, à faire sauter des syllabes initiales ou finales : Olivia devient Livia, William devient Liam, etc.

Des prénoms anglais rarissimes naguère encore sont en expansion continue depuis 2013 : Jackson, Ethan, Jake, Cameron, etc.

Une quantité impressionnante de prénoms français ont été supplantés par leur équivalent anglais. Amélie (50) est remplacée par Amelia (178) ; Anne (30) par Anna (134), Hannah (33) et Hanna (10) ; Diane (3) par Diana (18) ; Hélène (6) par Helen (3), Helena (22) et Elena (145) ; Ève (111) par Eva (324), Isabelle (19) par Isabella (62) et Julie (6) par Julia (172). Audrey (36) a totalement supplanté Andrée (1).

Les prénoms populaires en Ontario

Une étrange familiarité nous assaille quand on parcourt la liste des prénoms le plus populaires en Ontario et qu’on les compare à ceux des Québécois.

Au Nouveau-Brunswick

La même impression se dégage quand on compile les prénoms d’une province bilingue comme le Nouveau-Brunswick. En 2019, 984 prénoms différents ont été donnés aux garçons et 1224 aux filles.

Emma et Olivia sont demeurés les deux prénoms les plus populaires pour les filles pour une troisième année consécutive, suivis de Charlotte, Amelia, Ava, Evelyn, Chloe, Scarlett, Violet, Sophia, Emily et Madison.

Les prénoms les plus populaires pour les garçons en 2019 étaient William, Liam, Noah, Logan, Benjamin, Jacob, Jack, Thomas, Owen, Lucas, Oliver et Jackson

Bref, il ne semble pas exagéré de conclure à une accélération de la canadianisation des prénoms québécois.