Les tartelettes portugaises ne remplaceront pas les masques

2020/03/25 | Par Pierre Dubuc

Bientôt les déclarations réconfortantes de la ministre Danielle McCann ne réussiront plus à étouffer la voix du personnel soignant qui se plaint du manque d’équipements de protection et, plus particulièrement, de masques N95.

Dans le Journal de Montréal du 25 mars, on rapporte les propos d’une infirmière de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont à Montréal qui travaille depuis plus d’une semaine « avec un masque de la mauvaise taille, une visière de mauvaise qualité et sans rien pour couvrir ses cheveux ou ses chaussures ». À l’hôpital Pierre-Boucher à Longueuil, « dimanche, aux soins intensifs, les gens couraient après les masques », selon un autre témoignage.

Dans Le Devoir du même jour, on apprend que des infirmières de CLSC qui font des visites à domicile « en sont même réduites à fabriquer elles-mêmes des masques de fortune avec des filtres récupérés sur des aspirateurs pour se protéger ».

La Presse+ nous informe qu’il a fallu exercer des pressions pendant cinq jours sur la Direction de la santé publique pour changer la consigne qui était de ne pas porter d’équipement de protection pour les patients qui avaient des symptômes de COVID-19, sans avoir voyagé à l’étranger.

Dans ces circonstances, on comprend que le premier ministre Legault ait identifié dans son point de presse du 24 mars l’approvisionnement en matériel médical comme étant « la priorité des priorités ». Il y a, a-t-il spécifié, des « commandes qui sont passées », mais s’est-il empressé d’ajouter « il faut voir si elles vont être respectées, qu'elles viennent des États-Unis, de l'Europe ou de l'Asie ». Voilà qui n’a rien de rassurant.

 

Pourquoi une pénurie de masques?

Comment se fait-il que le Dr Horacio Arruda, qui est directeur national de la Santé publique et sous-ministre adjoint à la Direction générale de la santé publique au ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, n’ait pas prévu un approvisionnement suffisant en masques et autres équipements de protection, alors que l’alerte au virus a été déclenchée au mois de décembre 2019.

M. Arruda devra l’expliquer si le nombre de cas augmente au même rythme que ces derniers jours. Ce ne sont pas les tartelettes portugaises qui vont remplacer les masques N95.

Dans un article, paru dans le journal Le Monde daté du 25 mars, on apprend que la France, aux prises avec un manque criant de masques, avait choisi de se défaire de ses stocks stratégiques pour des motifs d’économie sans penser au réapprovisionnement en situation de crise. L’auteur, Aurélien Rouquet écrit : « La pénurie de masques va donc tuer. Qui est le responsable de ces morts? Le gestionnaire du stock, l’État français. Quelle est sa faute ? »

Des questions qui devront aussi être posées ici, advenant une pénurie de masques. Qui est responsable des stocks, des prévisions et des pénuries ?

 

Géopolitique du masque

M. Legault a bien raison de laisser sous-entendre que le risque existe que les commandes ne soient pas respectées.  L’Europe est déjà en pénurie de masques et d’autres équipements. La situation sera bientôt la même aux États-Unis et il est peu probable que l’administration Trump – peu portée sur l’aide internationale, pour employer un euphémisme – considère les demandes en provenance du Canada.

Quant à la Chine, elle se sert de l’approvisionnement en masques comme arme politique. On a vu récemment des avions chinois approvisionner l’Italie en tonnes de matériel sanitaire, suivi d’avions russes et cubains avec des médecins venus prêter main-forte à leurs homonymes italiens. Ce n’est pas étranger au fait que l’Italie ait été le premier pays du G-7 à intégrer « les nouvelles routes de la soie », le projet pharaonique d’infrastructures maritimes et terrestres de la Chine lancé en 2013, et que le gouvernement italien s’aligne régulièrement sur les positions russes et chinoises en matière de politique internationale.

S’il nous faut compter sur la Chine pour l’approvisionnement en masques, reste à savoir si nous sommes dans les bonnes grâces de Pékin après l’affaire de l’arrestation de Mme Meng, la vice-présidente de Huawei.

Peut-être que le gouvernement Trudeau, auquel a fait appel M. Legault, pourrait activer la filière chinoise au sein du Parti Libéral (voir notre article sur ce sujet) et proposer un troc : la libération de Mme Meng contre des masques !

 

Bientôt, une pénurie de lits

Enfin, un mot sur l’intervention de l’ancien premier ministre Lucien Bouchard dans La Presse+ du 25 mars pour exprimer son « admiration » pour François Legault. À la place de M. Bouchard, on se garderait une petite gêne… alors que le Québec va bientôt faire face à une pénurie de lits d’hôpitaux.

Dans un récent article, nous avons souligné que le Québec et le Canada venaient en queue de peloton parmi les pays avancés pour le nombre de lits par habitants, avec seulement 2,5 lits par 1 000 habitants, soit moins que l’Australie (3,8), la France (6,0) et le Japon (13,1), et même que les États-Unis (2,8).

Sous prétexte de virage ambulatoire et de l’atteinte du déficit zéro, Lucien Bouchard a procédé à la fermeture de SEPT hôpitaux au Québec. Ce qui ne l’a pas empêché cependant d’annoncer la construction de deux mégahôpitaux universitaires – dont un pour la minorité anglophone – qui coûteront la somme astronomique 7 milliards de dollars.

 

Photo : Émilie Nadeau