Ottawa a expédié en Chine, le mois dernier, 16 tonnes d’équipements de protection personnelle contre le coronavirus

2020/03/27 | Par Pierre Dubuc

Le Globe and Mail du 26 mars nous apprend que le Département des Affaires mondiales du Canada a expédié en Chine, le 4 février et les jours suivants, 16 tonnes d’équipement de protection personnelle contre le coronavirus, alors que l’Organisation mondiale de la Santé avait déjà mis en garde tous les pays contre une propagation du virus. Selon le ministre des Affaires étrangères, François Philippe Champagne, l’envoi comprenait « des vêtements, des visières, des masques, des lunettes et des gants ».

Pourtant, au Québec et dans les autres provinces, on appréhende une pénurie d’équipements de protection pour le personnel soignant. Dans leur point de presse du 26 mars, le premier ministre François Legault et le Directeur de la santé publique Horacio Arruda ont dû appeler à une « utilisation judicieuse » des masques. Ils ont cherché à diluer leur responsabilité dans cette rareté d’équipements en disant que « tous les pays essaient de faire attention sur la consommation des masques ».

 

Mis en garde de l’OMS

Le ministre Champagne essaie de justifier le don de ces équipements essentiels à la Chine par des motifs humanitaires. Un tel geste serait compréhensible si l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) n’avait pas, dès le 30 janvier, soit bien avant l’expédition des 16 tonnes de matériel, publié la déclaration suivante.

Au terme de « la deuxième réunion du Comité d’urgence du Règlement sanitaire international (2005) concernant la flambée de nouveau coronavirus 2019 » l’OMS déclare que « la flambée épidémique remplit désormais les critères d’une urgence de santé publique de portée internationale (USPPI) ».

Le Communiqué de l’OMS émet l’avis suivant à « l’attention de tous les pays » : « On peut s’attendre dans n’importe quel pays à l’apparition de nouveaux cas exportés de Chine. Par conséquent, tous les pays doivent être prêts à prendre des mesures pour endiguer l’épidémie, notamment par une surveillance active, un dépistage précoce, l’isolement et la prise en charge des cas, la recherche des contacts et la prévention de la poursuite de la propagation de l’infection par le 2019-nCoV ».

Le 7 février, l’OMS prédisait aussi « des perturbations importantes » dans les approvisionnements en équipement de protection personnelle.

 

Ignorance, négligence, incompétence ou motifs politiques?

Il est assez clair que ce n’était pas le temps de se départir de ces précieux équipements. Qui a pris la décision de cet envoi? Quel en était le motif? Humanitaire? Ou était-ce de la négligence et de l’incompétence?

Chose certaine, les responsables de la santé publique à Québec et à Ottawa ne peuvent plaider l’ignorance. Après tout, au cours des dernières années, il y a eu le SRAS, le H1N1 et l’Ebola. Cette dernière épidémie est réputée avoir causé 10 000 morts en Afrique.

Alors, était-ce pour des motifs politiques? Voulait-on à Ottawa s’attirer les bonnes grâces de la Chine? Rafistoler nos relations bancales avec Pékin depuis l’arrestation de Mme Meng de Huawei? Faut-il y voir la main de la filière chinoise au sein du Parti Libéral ?

 

Vers des poursuites judiciaires?

S’il advenait une pénurie d’équipements de protection pour les soignants, qui se traduirait par la mort de soignants ou de patients, à qui faudrait-il en attribuer la responsabilité? À Québec? À Ottawa? Aux deux? Les responsables pourraient-ils être traduits devant les tribunaux?

En France, où la pénurie de matériel est criante, le journal Le Monde, daté du 27 mars, évoque la possibilité d’éventuelles poursuites judiciaires, qui font trembler le gouvernement. « Des médecins et des malades menacent le gouvernement d’éventuelles poursuites pénales », rapporte le journal.

« Tous accusent, peut-on lire dans Le Monde, l’exécutif d’‘‘impréparation’’ face à la crise ou de ‘‘manque de réaction’’, pointant notamment du doigt le déficit de masques, de tests ou de lits dans les services de réanimation. Avec un mot d’ordre : le sommet de l’État devra ‘‘rendre des comptes’’. »

Nous n’en sommes pas là. Mais si nous devions malheureusement y arriver, il faudrait, nous aussi, demander une reddition de comptes aux gouvernements actuels et passés, tant à Québec qu’à Ottawa, pour toutes ces années d’austérité, de compressions dans les soins de santé et les services sociaux, dont nous constatons aujourd’hui avec horreur les conséquences.