La diplomatie du masque : Mme Meng de Huawei contre des masques. Pourquoi pas ?

2020/04/01 | Par Pierre Dubuc

Dans son éditorial de La Presse du 28 mars, François Cardinal s’en prend à ceux qui ont critiqué la décision du gouvernement Trudeau d’expédier le mois dernier 16 tonnes d’équipement médical à la Chine.

Selon Cardinal, c’est par souci humanitaire que le Canada a fait « ce qu’un gouvernement responsable devait faire au moment où le virus se propageait de manière inquiétante dans ce premier foyer national pour éviter qu’il prenne une ampleur démesurée ».

D’après lui, « c’est le même raisonnement qui a d’ailleurs poussé la Chine, il y a deux semaines, à envoyer de l’équipement médical en grande quantité en Italie, maintenant que l’épicentre de la crise est hors de ses murs ».

Cardinal oublie de mentionner que l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) avait, dès le 30 janvier, soit bien avant l’expédition des 16 tonnes de matériel, publié une Déclaration avertissant que « la flambée épidémique remplit désormais les critères d’une urgence de santé publique de portée internationale ».

Le Communiqué de l’OMS émettait l’avis suivant à « l’attention de tous les pays » : « On peut s’attendre dans n’importe quel pays à l’apparition de nouveaux cas exportés de Chine. Par conséquent, tous les pays doivent être prêts à prendre des mesures pour endiguer l’épidémie, notamment par une surveillance active, un dépistage précoce, l’isolement et la prise en charge des cas, la recherche des contacts et la prévention de la poursuite de la propagation de l’infection par le 2019-nCoV ».

Le 7 février, l’OMS prédisait aussi « des perturbations importantes » dans les approvisionnements en équipement de protection personnelle.

Donc, le virus allait toucher le Canada et les autorités canadiennes devaient savoir, compte tenu de ce qui se passait dans le monde, que le pays allait manquer de matériel sanitaire étant donné l’absence de stocks dignes de ce nom. D’autres motifs qu’humanitaires expliquent donc la décision canadienne.

 

Guerre des masques

Tous les observateurs de la scène mondiale – sauf François Cardinal de La Presse – ont souligné que la décision de la Chine d’approvisionner l’Italie s’explique par le fait que l’Italie ait été le premier pays du G-7 à intégrer « les nouvelles routes de la soie », le projet pharaonique d’infrastructures maritimes et terrestres de la Chine lancé en 2013, et que le gouvernement italien s’aligne régulièrement sur les positions chinoises en matière de politique internationale.

À cet aspect diplomatique, s’ajoutent évidemment des considérations financières. Dans son édition du 1er avril, le Canard enchaîné parle d’une « guerre des masques » entre la France et les États-Unis.

La France, rapporte l’hebdomadaire satirique français, a commandé un milliard de masques à la Chine, mais reconnaît qu’il n’y a aucune garantie qu’ils seront livrés. « Le problème, selon un porte-parole du gouvernement français cité par le journal, est que les règles du commerce international ne sont plus respectées. On peut avoir signé un contrat, l’avoir honoré, l’avion peut être prêt à embarquer la marchandise et ne pas l’obtenir au dernier moment. Et, quand ça se passe bien, il faut encore s’assurer de la qualité du produit pour éviter les mésaventures survenues aux Espagnols, qui ont acheté des tests bidon ».

Une des causes de ce non-respect des commandes est, selon le Canard, le fait que « les États-Unis et le Canada mettent la pagaille sur le marché en faisant monter les enchères, proposant jusqu’à quatre fois le prix habituel des masques ».

Que le Canada fasse monter les enchères n’est pas étonnant, étant donné la catastrophe appréhendée, mais est-il de taille à soutenir la concurrence des États-Unis dont le président Trump a estimé les besoins à 7 milliards de masques ? S’ajoute, toujours d’après le Canard, un problème supplémentaire : « Les Chinois, par crainte d’une nouvelle vague épidémique, sont en train de constituer un stock de 20 milliards de masques ».

Mais le Canada détient une arme secrète pour que la Chine le favorise : la détention de Mme Meng Wanzhou de Huawei. Pourquoi ne pas profiter que le président Trump en a plein les bras avec sa gestion du coronavirus pour la renvoyer en Chine en échange de masques et autres équipements sanitaires? Déjà, l’envoi de 16 tonnes d’équipement sanitaire en Chine était un signe de bonne volonté.

On pourrait invoquer des motifs humanitaires pour justifier le renvoi de Mme Meng, ce qui ferait plaisir à François Cardinal.