Le pétrole sous respirateur artificiel

2020/04/01 | Par Gérard Montpetit

L’auteur est membre du Comité des citoyens et citoyennes pour la protection de l'environnement maskoutain

Sur le plan économique, l'année 2020 fait une entrée remarquable, mais pour les mauvaises raisons. Après un blocus des chemins de fer par les Premières Nations qui exprimaient leur soutien aux Wet'suwet'en opposés au gazoduc Coastal GasLink, voici qu'une pandémie, apparue en Chine, oblige le gouvernement de M. Legault à « mettre la province en pause ». D'ailleurs tous les gouvernements de la planète, même celui de M. Trump, doivent faire face à cette grave crise. Suite à ce confinement pour des raisons sanitaires, des millions de personnes ont perdu leurs emplois et des milliers d'entreprises ont dû mettre la clé dans la porte!

Sous cette avalanche de mauvaises nouvelles, les gouvernements Trudeau et Legault ont improvisé des programmes d'aide aux travailleurs et aux entreprises. Avec plus d'un million de nouveaux chômeurs, la PCU (Prestation canadienne d'urgence) a pour objectif de soulager la détresse financière des citoyens. Une autre excellente idée est d'aider les PME à redémarrer après la crise. Mais comme dans toute situation exceptionnelle, certains tentent de « tirer la couverte de leur bord ».

C'est le cas de l'industrie pétrolière. Celle-ci a reçu deux « claques » ce mois-ci : en plus de la pandémie, la guerre des prix entre la Russie et l'Arabie saoudite a fait chuter le prix du WCS (Western Canadian Select) à environ 5,00$ (en devise américaine). Dit autrement, ça prendrait 2 barils de WCS pour acheter un bock de bière en fût à votre brasserie préférée![1] Les lobbyistes de l'industrie pétrolière hurlent et tirent les ficelles pour avoir la part du lion. Selon le Globe and Mail, Ottawa se préparerait à injecter des milliards de dollars dans cette industrie.[2]

Une crise peut être le point de départ pour prendre un virage décisif. En plus de tous les problèmes causés par l'urgence climatique, la pollution de l'air engendrée par la combustion des énergies fossiles est un autre problème de santé respiratoire. Comme le dénonce l’urgentologue Courtney Howard, « notre pays envisage un transfert massif de fonds publics pour soutenir l'industrie qui risque le plus de provoquer la prochaine crise sanitaire. Et la crise sanitaire qui suivra. Et la crise sanitaire qui suivra. »[3]

Pourquoi financer l'industrie qui nous empêchera d'atteindre les objectifs de l'Accord de Paris? Qui plus est, l'exploitation des sables bitumineux n'est pas compétitive face à des pétroles ayant un meilleur rendement sur l’investissement énergétique (RIE, en anglais EROEI pour Energy return on energy invested). Pour les producteurs de sables bitumineux, le prix nécessaire pour rentabiliser le coût de production se situe entre 60 et 80 dollars le baril. Alors à 5,00$!!!  D'ailleurs, chaque soir au téléjournal, le prix du WCS est toujours inférieur à celui d'un pétrole de première qualité comme le « Brent ». Les producteurs de sables bitumineux sont en mauvaise posture financière depuis la chute des prix de 2014. Pourquoi gaspiller de l'argent pour aider une industrie qui est déjà sur le respirateur artificiel?

Voilà pourquoi M. Morneau, le ministre des finances, ne doit pas venir en aide à l'industrie pétrolière qui périclite depuis toutes ces années. Koch Oil Sands Holdings, Statoil, Total, Shell et d'autres géants du pétrole ont retiré leurs billes de l'Alberta; ils ont quitté ce navire en train de sombrer.[4] Au contraire, M. Morneau doit aider les Albertains à faire la transition vers une économie plus verte.[5 et 6]

Si on prend les bonnes décisions, cette crise causée par la pandémie peut nous aider à devenir meilleurs et plus forts. Ce message n'est pas contre l'Alberta; il est pour les Albertains. Il faut les aider à diversifier leur économie pour entrer de plein pied dans le 21e siècle avec une économie qui ne soit plus soumise aux aléas des prix des matières premières sur les marchés internationaux.[7] Dépenser 12,6 milliards de dollars pour tripler la capacité de l'oléoduc Trans Mountain, c'est jeter l'argent des contribuables à l'eau.[8] Dépenser la même somme pour aider les travailleurs albertains est une excellente idée. Les sables bitumineux sont moribonds; il est temps de « tirer la plogue » du respirateur artificiel!

 

1] https://www.nationalobserver.com/2020/03/27/news/canadian-crude-plummets-us5-barrel-oilpatch-awaits-federal-bailout

2] https://www.theglobeandmail.com/politics/article-ottawa-prepares-multibillion-dollar-bailout-of-oil-and-gas-sector/

3] https://www.nationalobserver.com/2020/03/24/opinion/covid-19-crisis-tipping-point-will-we-invest-planetary-health-or-oil-and-gas?utm_source=National+Observer&utm_campaign=5993b8d7a7-WEEKLY_Mar282020_PS&utm_medium=email&utm_term=0_cacd0f141f-5993b8d7a7-276800149&mc_cid=5993b8d7a7&mc_eid=1d359a1e57

«...our country is considering a massive transfer of public funds to support the very industry most likely to cause the next health crisis...»

4] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1262727/petrole-gaz-cavalier-energy-vente-calgary?fbclid=IwAR3SEs1y7piRDC-GV-weCAXjJbsP8zE9iKC0w4SSElrobQmf2BCjYl4lmZE

5] https://mailchi.mp/8b15f157e90b/l-alberta-a-besoin-de-milliards-de-dolla...

6] https://www.nationalobserver.com/2020/03/25/opinion/265-academics-trudeau-no-bail-out-oil-and-gas-response-covid-19?utm_source=National+Observer&utm_campaign=5993b8d7a7-WEEKLY_Mar282020_PS&utm_medium=email&utm_term=0_cacd0f141f-5993b8d7a7-276800149&mc_cid=5993b8d7a7&mc_eid=1d359a1e57

7] https://thetyee.ca/News/2020/03/20/Bail-Out-Workers-Not-Fossil-Fuels-Say-Climate-Advocates/

“Diverting desperately needed public funds to subsidize a poorly-managed sunset industry during a pandemic is absolutely unconscionable,” tweeted Debra Davidson, a professor of environmental sociology at the University of Alberta. 

 

8]  https://www.theglobeandmail.com/canada/alberta/article-trans-mountain-ex...