L’incontournable Guy Rocher

2020/04/24 | Par Pierre Duchesne

Au début de l’année 1962, Guy Rocher a pris pleinement conscience de son rôle de commissaire de la Commission d’enquête sur l’enseignement et de la nécessité de réformer tout le système d'éducation. Il est éclairant, à cet égard, de revenir sur le discours qu'il prononce le 11 mars, lors d'une journée d'étude organisée par la Faculté des sciences sociales de l'Université de Montréal, pour des professeurs des collèges classiques. Dans son esprit, les réflexions de la Commission se situent dans un contexte international.

Il explique « que la crise mondiale de l'éducation est un symptôme de la crise de la culture moderne, et que celle-ci est en quelque sorte un reflet de la révolution scientifique, technique et sociale du monde contemporain ! ». L'accès de tous à l'éducation et « à une culture de base » comme condition et expression d'une société se voulant démocratique, est un précepte que Guy Rocher développe et justifie : « Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, on veut que la masse de la population, sans discrimination de sexe, de classe ou de fortune, puisse avoir accès aux études supérieures. Bien plus, on espère que les prochaines générations posséderont obligatoirement au moins une formation secondaire. »

 À l'égard de l’université, si elle profite à un petit groupe, il souhaite que « cette élite intellectuelle ne se cristallise pas en une classe sociale héréditaire et que la culture ne soit plus un privilège de caste ». Le sociologue désire participer activement à ce qu'il n'hésite pas à qualifier de « l’une des révolutions les plus considérables que connaîtra la société ». (…)

Au printemps 1962, dans le cadre de ses fonctions de vice-doyen de la Faculté des sciences sociales à l’Université de Montréal, Guy Rocher en était à compléter l'embauche du professeur Marcel Rioux. Pour ce faire, il avait dû rencontrer le chancelier de l’université, le cardinal Léger.

Pendant la conversation, Monseigneur Léger aborde le sujet de la commission Parent : «Sans doute que vous allez avoir à recommander quelque chose comme un ministère de l'Éducation, dit-il. Si ça se trouve, tout ce que je peux dire, c’est que si j'étais contre un ministère de l’Éducation, je serais contre la très grande majorité des évêques du monde qui vivent avec des ministères de l'Éducation ! » Heureux d'entendre cela, Guy Rocher en informe Monseigneur Parent.

À un autre moment, il est à même de constater l'indépendance d’esprit du président de la Commission par rapport aux dirigeants de l’Église catholique. Lors d’une séance en présence de l’Assemblée des évêques, comme s’il avait été tenu informé des plans du ministre Gérin-Lajoie, Monseigneur Parent pose la question suivante : « Accepteriez-vous de n’être plus que cinq ou six évêques membres du Comité catholique du Conseil de l'instruction publique, plutôt que l’ensemble de l’Assemblée des évêques (vingt-deux prélats) comme actuellement ? »

Les évêques s'étaient regardés, puis l’un d’entre eux s'était levé. « Vous savez, dit-il, un évêque, dans son diocèse, possède l'autorité entière. [Il ne peut] déléguer son autorité à un autre évêque, on ne peut pas ! » Lorsque la séance se termine, Guy Rocher est près de Monseigneur Parent qui lui dit tout bas : « Ils vont être surpris, ceux-là ! »

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Pierre Duchesne, Guy Rocher, Voir - Juger –Agir Tome 1 (1924-1963), Québec Amérique 2019