Charles Darwin et le coronavirus

2020/04/28 | Par Patrick Provost

Patrick Provost est professeur titulaire, Université Laval et co-coordonnateur et membre Des Universitaires (https://desuniversitaires.org/)

Début décembre 2019. Absolument rien ne laissait présager que, quelques mois plus tard, nos vies basculeraient vers l’actuelle pandémie de COVID-19 et l’état d’urgence sanitaire décrété pour ralentir sa propagation. Ici, le Québec tout entier est sur pause et subit sa première vague d’infections.

L’agent pathogène qui provoque la COVID-19 est un coronavirus appelé Severe acute respiratory syndrome coronavirus 2 (SARS-CoV-2). Il est apparu dans un marché public de la ville de Wuhan, situé dans la province chinoise de Hubei, en décembre 2019. Plusieurs rapports suggèrent que cette éclosion de SRAS-CoV-2 émane de la transgression par l’espèce humaine des barrières naturelles qui le séparent des espèces animales indigènes vivant dans leur écosystème – une étude récente, publiée dans la revue Nature, pointe vers le pangolin comme mammifère intermédiaire de ce virus, alors que la chauve-souris en constituerait le réservoir.

Il semble que ces interactions aient été suffisamment étroites pour permettre le transfert d’éléments du microbiote – qui représente, par définition, l'ensemble des micro-organismes colonisant un individu (principalement des bactéries, mais également des virus) – et provoquer cette zoonose – maladie infectieuse causée par des micro-organismes qui se propagent des animaux aux humains.

Les épidémies de virus Ebola en Afrique subsaharienne en sont des exemples récents. Sans conséquence pour les chauves-souris qui le portent, ce virus provoque une fièvre hémorragique létale chez 25 à 90% des personnes qui en sont infectées.

Comme pour le virus Ebola, on peut penser que, tant que les barrières naturelles seront transgressées, le risque de nouvelles vagues d’infection, d’épidémie et de pandémie liées au SARS-CoV-2 demeurera élevé. Les risques sanitaires pourraient s’étendre à de nouveaux virus et être amplifiés par les changements climatiques, considérant la fonte du pergélisol, qui devrait libérer des virus datant de dizaines de milliers d’années et pouvant être infectieux encore aujourd’hui.

Ce qui nous frappe plus particulièrement, dans la présente pandémie, c’est de réaliser que, malgré de formidables avancées technologiques et médicales, l’être humain n’échappe pas aux lois de la Nature, des forces que nous ne pouvons contrôler et qui demeurent implacables. Nous avons tendance à l’oublier. Idem pour les conséquences des changements climatiques que nous avons nous-mêmes provoqués.

Dans son ouvrage intitulé On the Origin of Species, Charles Darwin présente sa théorie de l'évolution et décrit les éléments de sélection naturelle qui façonnent les espèces. À partir de ses observations, il a, en outre, déterminé que les espèces évoluent pour adopter des traits (ex. forme du bec chez certains oiseaux) qui leur permettent de s’adapter à leur environnement et de survivre.

Force est de constater que l’espèce humaine est présentement soumise à un nouvel élément de sélection naturelle infectieuse, comme l’ont précédemment été (i) la peste noire, provoquée par la bactérie Yersinia pestis (entre 75 et 200 millions de morts; 1347-1352), (ii) la grippe espagnole, provoquée par le virus de la grippe A (H1N1) (entre 20 et 100 millions de morts; 1918-1919), et (iii) le syndrome d'immunodéficience acquise (SIDA), provoquée par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) (32 millions de morts; 1981-maintenant).

Sous cette pression, les individus portant les traits (immunitaires) qui leur confèrent une protection survivront, se reproduiront et assureront une descendance porteuse de ces traits et résistante à cet élément, alors que d’autres individus dépourvus de ces traits, plus faibles ou plus vulnérables en décéderont. La réalité de la sélection naturelle est brutale.

Dans le domaine du VIH, la science a démontré que les individus porteurs d’une variante du gène C-C chemokine receptor type 5 (CCR5), une protéine exprimée à la surface des leucocytes et qui permet l’entrée du VIH dans les cellules, étaient résistants à l’infection. La prévalence de l’allèle muté CCR5 Δ32 s’établit entre 4% et 16% de la population, selon la région.

Est-ce qu’un trait génétique semblable pourrait protéger une partie de la population de la COVID-19? Seule la recherche nous le dira. La proportion possiblement importante de porteurs asymptomatiques de la COVID-19 permet d’espérer.

Est-ce que les médicaments et les vaccins en cours de développement permettront à l’humanité de contrer les forces de la Nature et d’éviter le pire face à ce nouvel élément de sélection naturelle qui le menace?

La science n’est malheureusement pas omnipotente, car d’autres paramètres (ex. capacité des systèmes de santé) et forces, notamment économiques, financières et politiques, entrent en jeu.

Nonobstant, la science nous permet de jeter un regard unique et objectif pour comprendre le monde dans lequel nous vivons. Ce monde évolue constamment et nous force à nous y adapter. Il n’est donc pas anormal que, dans la présente crise, le premier ministre François Legault soit accompagné et conseillé par un scientifique expert en santé publique, en l’occurrence le Dr Horacio Arruda, et son équipe.

Les récents événements sont encourageants pour la suite des choses, car ils montrent que la population est prête à écouter et à suivre un leader politique qui base ses décisions sur la science. D’aucuns souhaitent que M. Legault poursuive dans cette voie et s’adjoigne des experts universitaires tout aussi qualifiés dans leur domaine pour relancer le Québec et lui permettre de faire face à une crise encore plus importante, soit celle de l’urgence climatique.

Que nous soyons en situation d’urgence sanitaire ou climatique, l’ampleur des forces de la Nature appelle à l’humilité et au respect. Et à des mesures conséquentes basées sur la science.