Michel Chartrand serait sidéré de voir ce qui se passe présentement dans certains CHSLD

2020/04/30 | Par Monique Pauzé

L’auteure est députée du Bloc Québécois

Chaque premier mai, Journée internationale des travailleurs, je ne peux m’empêcher de penser à un grand défenseur de ces femmes et de ces hommes qui consacrent une grande partie de leur vie à travailler pour leur famille, pour la société, pour l’avenir. Cet homme c’est Michel Chartrand.

Bien avant la pandémie, ce grand syndicaliste québécois reconnaissait la valeur de ces gens que l’on considère aujourd’hui comme nos anges gardiens. Il valorisait l’apport de ces hommes et ces femmes qui, malheureusement, ont toujours eu des conditions de travail difficile, un salaire dérisoire et très peu de reconnaissance de la part des employeurs ou de la société.  C’est pour eux qu’il s’est battu.

Considéré comme un ambassadeur de la justice sociale au Québec, je pense que Michel Chartrand serait sidéré de voir ce qui se passe présentement dans certains Centres d’hébergement et de soins de longue durée du Québec, non seulement le traitement réservé à nos aînés, mais celui des infirmières et des préposées aux bénéficiaires qui sont à bout de souffle et qui côtoient la mort sur chaque étage.

Il aura fallu que la COVID-19 s’introduise chez nos aînés pour que soit révélée au grand jour la précarité dans laquelle bon nombre de travailleuses et de travailleurs de la santé évoluent. Par exemple, le salaire d'un préposé aux bénéficiaires dans le réseau public varie de 19,47 $ à 21,37$ l'heure. Ce montant est supérieur aux salaires consentis dans les résidences privées pour personnes âgées où certains prodiguent des soins au salaire minimum qui passe aujourd’hui à 13,10$. Est-ce que ce salaire est équitable si l’on considère leur charge de travail?

Le gouvernement du Québec indique que le préposé aux bénéficiaires aide les patients au lever, au moment des repas et au coucher. Il les aide à se laver, à se vêtir ou à se dévêtir et il a la charge de la literie. Il veille à donner aux bénéficiaires les soins appropriés et à respecter leur intégrité et leur dignité, afin de contribuer à leur bien-être. Jusqu’ici tout va bien, mais nous venons tous d’apprendre dans quelles conditions ces soins sont donnés. Le témoignage de Dre Isabelle Julien donne froid dans le dos et je vous mets au défi de ne pas verser une larme. 

En cette Journée internationale des travailleurs, je veux saluer le dévouement de ceux et celles qui se mettent à risque pour aider le Québec à traverser cette crise sans précédent.  Je sais que vous avez le cœur sur la main, je sais également que vous n’êtes pas invincibles. Je pense entre autres à Victoria Salvan, première préposée aux bénéficiaires décédée de la COVID-19 le 17 avril.   

Cette femme, originaire des Philippines, cumulait 28 années d’expérience. Malgré son âge et les conditions difficiles,  elle travaillait sans relâche pour le bien-être des résidents du Centre de soins prolongés Grace Dart, mais aussi pour assurer  l’avenir de ses deux fils. Ces derniers ont pu aller à l’université grâce à cette femme qui travaillait trois à quatre quarts de travail par semaine, dont plusieurs journées de 16 heures. Je pense également à Stéphanie Tessier, 31 ans, la seconde préposée aux bénéficiaires à succomber à la COVID-19, l’une des plus jeunes victimes de la pandémie au Québec. À leurs proches, je souhaite mes sincères condoléances.

Si cette pandémie a quelque chose de positif, c’est sans doute le grand respect qu’ont trouvé bon nombre de gens pour certaines professions, respect qu’ils n’avaient peut-être pas au début de la crise. Nombreux sont ceux et celles qui valorisent maintenant non seulement les membres du secteur hospitalier, mais aussi tous ceux et celles qui nous offrent des services essentiels. Que ce soit les techniciens et les techniciennes en service de garde,  les éboueurs, les épiciers, les caissières, les emballeurs, les gens des services municipaux, nos médias locaux et j’en passe. Des gens trop souvent au statut précaire qui nous sont  essentiels en ces moments de confinement.  Michel Chartrand n’a pas eu besoin de confinement pour leur accorder tout son respect.  Il  l’a toujours eu et me l’a enseigné.

J’ai eu l’immense privilège de rencontrer Michel Chartrand au cours de mon mandat syndical. Lorsque j’avais besoin de quelqu’un de fort, de charismatique, de vrai pour parler aux délégués de mon syndicat, j’invitais Michel. Lorsqu’il entrait, malgré parfois ses longs retards, les gens lui réservaient toujours une ovation debout.  Les salles étaient combles et tous lui pardonnaient son manque de ponctualité.

Louis Caron,  romancier, conteur que j’ai connu à travers ses livres dont Les fils de la liberté, avait décrit Michel de la façon suivante :

Un nez d’aigle
Une moustache de mousquetaire
Des cheveux en vagues comme la mer
Des cailloux dans la bouche.

Cette description de cet homme unique m’apparait exacte.  Ces mots viennent me toucher profondément. Ce  qui me fascinait chez lui, c’était sa capacité à valoriser les gens auxquels il s’adressait.  Tous et toutes redressaient les épaules, retrouvaient de la fierté, se sentaient interpellés par ses propos et j’aimerais que le Québec puisse l’entendre encore aujourd’hui.

Michel donnait toujours ce conseil aux représentants syndicaux à peu près dans ces termes : arrêtez de courir de temps en temps, fermez votre porte et réfléchissez. Aujourd’hui, ceux et celles qui sont au front n’ont pas le temps de s’asseoir pour penser à l’après COVID-19, ils sont dans l'urgence, mais j’espère qu’une fois la pandémie passée nous pourrons tous célébrer les travailleurs et les élever au rang qu’ils méritent et leur donner des conditions gagnantes pour offrir leurs services.

Aujourd’hui je remercie ceux et celles qui, en temps de pandémie, continuent malgré la précarité de leur emploi, et je remercie Michel pour ce qu’il m’a appris comme le besoin de me battre contre les iniquités sociales