Verdir, marcher, vivre en santé

2020/05/01 | Par Pierre Gosselin

Pierre Gosselin MD, Faculté de médecine, Université Laval, et membre Des Universitaires (https://desuniversitaires.org/)

Les populations humaines tirent des avantages importants des forêts, espaces verts et milieux humides, y compris en ville. Ainsi, la ville de New York ne filtre pas son eau potable car ses dirigeants ont eu la sagesse, il y a un siècle, de préserver les monts Catskills, au nord de la ville, qui filtrent naturellement l’eau. On a calculé qu’y construire aujourd’hui une usine de filtration coûterait 4 milliards de dollars, puis un milliard de fonctionnement chaque année… Ces services écosystémiques naturels réduisent les risques et favorisent l’adaptation aux changements climatiques selon tous les scientifiques, en nous protégeant des extrêmes météorologiques qui augmentent. Et ils sont gratuits en autant qu’on préserve et renforce ces espaces verts.

Des milliers d’études démontrent aussi depuis 20 ans les effets positifs de la présence d’arbres et d’espaces verts urbains sur la santé de la population. Par leur effet apaisant qui favorise les interactions sociales, la présence d’espaces verts pourrait diminuer de 35 % la prévalence du stress, de 7 % la prévalence de la dépression et de 11 à 19 % la prévalence de l’autisme.

Un quartier plus vert est associé à une baisse du risque de 14 % pour le diabète, 13 % pour l’hypertension et 10 % pour l’hyperlipidémie. Les gens vivant dans des milieux très verts, qui incitent à la marche, sont en effet trois fois plus actifs physiquement et présentent 40 % moins de risque de surpoids. En créant de l’ombre, les arbres protègent des rayons UV et de la chaleur, et diminuent l’herbe à poux allergisante.

Les arbres urbains captent aussi les polluants atmosphériques. Par exemple, une étude a montré que les arbres de Toronto captent 61 % des particules microscopiques atmosphériques (PM10), le principal polluant de l’air. Dans les pays développés, la pollution de l’air cause environ 30 % des maladies cardiovasculaires, 8 % des cancers de la trachée, des bronches ou des poumons, 12 % des infections des voies respiratoires inférieures, 16 % des maladies obstructives chroniques et 10 % de la démence. Au Québec, la pollution atmosphérique est liée à 2 000 décès prématurés par an, soit 5 fois plus que les accidents de la route. En 2017, la pollution atmosphérique coûtait 36 milliards $/an au Canada  en pertes de santé et bien-être, soit environ 8 milliards $/an au Québec, ou 18 % du budget du MSSS.

En fait la plupart des polluants sont réduits de façon importante par le couvert forestier. L’effet protecteur des arbres urbains pour la santé a été démontré dans une étude à grande échelle aux États-Unis. Dans les 15 États américains où les frênes urbains ont été décimés, l’étude a révélé 6 113 décès supplémentaires par maladies respiratoires et 15 080 décès cardiovasculaires causés par l’augmentation de la pollution qui en a résulté. Une étude canadienne menée pendant 10 ans auprès d’un million de personnes dans 35 villes conclut que les zones les plus vertes réduisent la mortalité prématurée de 10 % par rapport aux zones les moins vertes, en tenant compte de l’âge, du niveau économique et des habitudes de vie.

Des centaines d’études confirment aussi le rôle du verdissement urbain dans l’accroissement de la productivité au travail, de la performance scolaire, de la valeur foncière des quartiers et donc des revenus des municipalités. Les espaces verts réduisent aussi les coûts de climatisation, de chauffage, et la criminalité selon la position officielle du USDA Forest Service.

Pourtant les bénéfices du verdissement urbain ne sont encore que peu considérés dans les décisions publiques et privées qui concernent ces infrastructures naturelles. L’évaluation économique des services actuels rendus par ces écosystèmes a été estimée à plus de 2,2 milliards $/an pour la région métropolitaine de Montréal, et les pertes économiques associées à leur destruction par l’étalement urbain à 236 millions $/an.

L’urbanisation augmente en effet l’imperméabilisation des surfaces, et donc la fréquence des crues soudaines, des surverses d’eaux usées au fleuve et la formation d’îlots de chaleur urbains; elle s’avère aussi dévastatrice pour la biodiversité locale. Les mêmes calculs pour la région métropolitaine de Québec donnent 1,1 milliard $/an. Ces estimés n’incluent pas la valeur de stockage du carbone, ni les coûts de santé évités.

L’indice de canopée inclut les arbres de rue, des terrains privés et des parcs. Celui de la ville de Québec est de 32 % mais les quartiers centraux sont à 17 %; Montréal atteignait 20 % avant que l’agrile n’attaque les frênes;  Gatineau fait moins bien à 16 %.

Plusieurs organismes recommandent une augmentation marquée des espaces verts urbains. Les experts du USDA Forest Service recommandent des objectifs de 40 % de canopée optimale pour les zones naturellement forestières, comme le Québec, à partir de la littérature scientifique. La ville de New York y parvient (39,2%) après 15 ans de plantation systématique et de reconversion de terrains industriels. Nous en sommes encore loin ici et en payons chaque année le prix au ministère de la Santé et des Services sociaux et dans nos villes.

Il n’y a pas encore de programme obligatoire de verdissement ni de soutien aux arbres qui, malheureusement pour nous, ne paient pas de taxes et ne votent pas. Et quand arrive une épidémie, on ferme les parcs parce qu’ils sont trop petits...  Il y a plusieurs façons de s’enrichir dans la vie, et l’une d’elles est de diminuer les dépenses de santé et d’environnement en verdissant nos villes de façon vigoureuse! 

 

Sources sur le sujet:

Valeur économique des effets sur la santé de la nature en ville: https://www.inspq.qc.ca/publications/2267

Valeur économique des écosystèmes :
https://cmquebec.qc.ca/wp-content/uploads/2019/09/2019-09_Valeur-%C3%A9conomique-ecosyst%C3%A8mes_UQO_Rapport-final.pdf

Verdir les villes pour la santé de la population: https://www.inspq.qc.ca/publications/2265

 

 

Illustration : Brignaud