La petite histoire, quarante ans plus tard, d’une question

2020/05/21 | Par Pierre-Alain Cotnoir

Étudiant au chômage à la suite de la grève des professeurs de l’UQAM ayant débuté en septembre 1976, j'ai été embauché en février 1977 comme employé à la permanence nationale du Parti québécois où je me suis engagé à y rester jusqu’à la tenue du référendum… que j'espérais voir venir rapidement!

À l’été 1977, Pierre Renaud, patron de la permanence, me confia, en tant que chargé de projets, l’accompagnement du comité thématique récemment créé: composé d’universitaires et de membres influents du parti, ce comité avait pour mandat d’analyser l’opinion publique en vue de la préparation de la bataille référendaire. Faisaient partie de ce comité, entre autres personnalités, Pierre Harvey, Édouard Cloutier, Camille Bouchard, Pierre Drouilly et lui-même. L’existence du comité devait demeurer discrète et ses activités relativement secrètes. Il me proposait de mettre sur pied une « firme de sondage » qui servirait tant pour les enquêtes maisons réalisées par un autre nouveau venu à la permanence, Michel Lepage, mon voisin de bureau, que pour les recherches du comité thématique. Je devais assurer l’intendance pour tout ce qui concernait les études menées pour ce comité. Je connaissais et appréciais Pierre Drouilly ayant fait affaire avec lui pour l’utilisation de la banque de données électorales qu’il avait créée avec Henri Dravet quelques années plus tôt. C’est ainsi que s’est amorcée une incursion dans un domaine qui pris une importance beaucoup plus grande dans ma vie que j’aurais pu alors l’imaginer.

Il fallait donc tout organiser de l’enregistrement de la raison sociale à la production du matériel requis afin de réaliser une vaste enquête menée par une centaine d’intervieweurs auprès d’un millier de répondants francophones distribués sur tout le territoire québécois. Il fallait recruter et former ces intervieweurs, superviser et valider leur travail, recueillir les questionnaires, etc. Cette enquête fut donc menée à la manière du Gallup des tous débuts: par des entrevues au domicile des répondants, car le questionnaire étant passablement long, il aurait suscité trop de décrochage s’il avait été effectué par téléphone.

Deux résultats émergèrent de ce premier coup de sonde réalisé par le tout nouveau « Service de sondage du Québec », hormis le fait que nous avions encore des croûtes à manger si nous voulions nous retrouver dans la zone gagnante à l’issue d’un éventuel référendum. Le premier résultat concernait le vote des femmes, plus particulièrement de celles aux soins de la maison comme on le disait alors. À notre grande déconvenue, celles-ci n’appréciaient pas particulièrement l’une de leurs consœurs, Mme Lise Payette, mais elles étaient plutôt séduites par les politiciens que j’avais alors caricaturés comme ayant le « Oxford Look », soit M. Jacques Parizeau, M. Jacques-Yvan Morin, et leur benjamin, M. Pierre-Marc Johnson, ce dernier possédant en sus le double avantage d’être à la fois avocat et médecin, le rêve de toute maman canadienne-française!

Le second était fortement lié au précédent et montrait que l’appui à la souveraineté-association différait nettement chez les femmes entre celles qui étaient sur le marché du travail et celles dites « aux soins de la maison », les premières étant proportionnellement plus nombreuses à opter pour la souveraineté-association.

Devant de tels résultats, il fut convenu par le comité thématique de tenter d’aller un peu plus en profondeur que ce premier coup de sonde. Un sous-échantillon d’une centaine de répondantes appartenant à la catégorie des « ménagères » comme nous le disions aussi fut alors constitué afin que ces femmes soient rencontrées par une dizaine d’intervieweures lors d’entrevues semi-dirigées dont tout le déroulement était enregistré sur cassette, tout cela avec l’accord des participantes bien entendu. Ces entretiens se déroulèrent à l’automne 1977.

L’écoute et l’analyse des enregistrements prirent tout le temps de la période des Fêtes d’Édouard Cloutier et de moi-même. Les conclusions qui en ressortirent montraient clairement la forte appréhension des « ménagères » à l’endroit de la capacité du Québec d’être un État souverain. L’une d’entre elles disant une phrase qui me reste encore gravée en tête plus de 40 ans plus tard : « Lise Payette veut séparer le Québec comme elle s’est séparée d’avec son mari. » Ce qui résumait bien la peur de ces femmes, trop souvent dépendantes des revenus de leur mari, mais responsables du budget familial, dans la transposition qu’elles en faisaient au plan collectif, Ottawa jouant le rôle du pourvoyeur.

Les conclusions qui ressortaient de ces premières enquêtes montraient assez clairement les difficultés qu’il y aurait à convaincre au cours du premier mandat du gouvernement de René Lévesque une majorité de Québécois à donner leur appui lors d’un référendum sur la souveraineté-association. Pourtant, c’était bien l’engagement pris de tenir un tel référendum au cours du mandat suivant l’élection d’un gouvernement du Parti québécois. Il fut donc suggéré par le comité pour combattre ce sentiment d’aliénation et d’infériorité de miser dans la publicité gouvernementale sur la capacité des Québécois à réaliser de grands projets collectifs.

Dès le début de 1978, le comité thématique se remit au travail afin de préparer une deuxième grande enquête. Ce sondage fut mené auprès de 726 répondants francophones répartis sur tout le territoire québécois de la même manière qu’en 1977, soit en se rendant au domicile des répondants.

Deux questions figuraient dans ce sondage qui eurent par la suite une influence certaine sur le cours des événements (voir extrait du document ci-joint). La première ne faisait qu’interroger les répondants sur leur intention référendaire à l’égard du projet de souveraineté-association et se formulait ainsi : « La souveraineté-association signifierait que le Québec devienne un pays souverain politiquement, mais associé économiquement au Canada. Si un référendum avait lieu aujourd’hui sur cette question, voteriez-vous pour ou contre la souveraineté-association? ». Les résultats indiquaient clairement que le camp du OUI ne pouvait espérer qu’environ 40% d’appuis, une fois les résultats pondérés en tenant compte de la très forte opposition des non-francophones (ce sondage n’interrogeant que des francophones donnait auprès de ceux-ci, 49,7%). La deuxième se lisait ainsi : « Si lors du référendum le gouvernement du Québec vous demandait plutôt de lui accorder un mandat pour négocier la souveraineté-association du Québec avec le reste du Canada, lui accorderiez-vous ce mandat?».

Le résultat à cette seconde question donnait 66,4% auprès des francophones, ce qui une fois pondéré avec l’électorat non francophone se ramenait à environ 53%. Ce deuxième résultat mit évidemment du baume sur les appréhensions de certains membres du comité thématique proche du cabinet du premier ministre, ce qui fut loin de me rassurer. Au comité thématique, je fis remarquer que cette réponse, si elle était prise au pied de la lettre, risquait de nous jouer un bien vilain tour. Car, si elle avait pour objectif de désensibiliser une partie de l’électorat de ses craintes en regard de la souveraineté en donnant aux électeurs craintifs une deuxième occasion de se prononcer sur le résultat d’éventuelles négociations, elle risquait d’avoir peu d’effet dans le cadre d’une campagne référendaire où nos adversaires sortiraient toute la panoplie des peurs d’un « saut dans l’inconnu de la séparation ».

Un peu comme lorsqu’un thérapeute cherche à faire disparaître la phobie d’un patient ayant peur des chiens en désensibilisant ses frayeurs progressivement. Ça pourra fonctionner en clinique, disais-je à l’époque, seulement si le thérapeute contrôle toutes les variables de la situation, mais ça ne marchera pas du tout, si d’aucuns autour du patient cherchent à l’effrayer en criant au chien enragé. Or, la campagne référendaire risque plus de ressembler à ce deuxième cas de figure.

Inutile de dire que les avis du jeune étudiant en psychologie que j’étais ne pesaient pas lourd auprès des seniors du comité. C’est alors que je commis un acte jugé déloyal en m’ouvrant de mes craintes auprès de quelqu’un que j’avais bien connu lors de la campagne de financement, le président du conseil régional de Montréal-Centre, le Dr Marc Lavallée. Celui-ci souleva la question lors d’une réunion des présidents régionaux où René Lévesque était présent par un vendredi soir du printemps 1979. Dois-je préciser que dès le lundi suivant, l’on me retira le dossier, ayant été traité de « petit crosseur » entretemps par notre chef. C’est suite à cette mésaventure que je décidai de quitter la permanence du parti avant la campagne référendaire afin de ne pas avoir à y être associé autrement que comme militant. Ce qui ne se fit pas comme une lettre à la poste, car malgré mon incartade, les responsables politiques de celle-ci voulaient que j’y demeure comme agent de liaison pour les deux régions dont j’avais également la responsabilité. Mais, depuis le tout début, mon intention était de retourner à l’université afin de compléter mes études supérieures en éthologie et c’était l’occasion ou jamais. Ayant été admis au programme de deuxième cycle, j’ai donc quitté la permanence du PQ le jour de mon anniversaire en avril 1980 à quelques jours du déclenchement du premier référendum.

Aussi lorsque le libellé de la question référendaire fut rendu public à l’Assemblée nationale, j’en fus moins étonné que Jacques Parizeau.

Mince consolation, directeur de la campagne dans ma circonscription lors de ce référendum, j’eus le « bonheur » de gagner le « pool » de gageures sur le résultat de celui-ci, tombant pile dessus. Mais c’était sans grand mérite, car en pressentant déjà l’issue !

 

Crédit photo : PQ.org