Partage des compétences : la dépossession de la collectivité québécoise

2020/05/22 | Par Monique Pauzé

L’auteure est députée du Bloc Québécois.

Pour les Québécoises et les Québécois, il va de soi que le Québec doit avoir le dernier mot quand il est question de projets affectant leur environnement et l’aménagement de leur territoire. C’est d’ailleurs pour cela que Bloc Québécois a de nouveau déposé le projet de loi sur la souveraineté environnementale pour lequel je me suis tant battue lors de mon précédent mandat. Notre but, donner au gouvernement du Québec le pouvoir d’accepter ou non les projets sous juridiction fédérale.

S’il existe un consensus afin qu’Ottawa ne puisse plus nous imposer des pipelines, des aéroports, des tours cellulaires, sans notre consentement, il devient de plus en plus difficile de renverser la vapeur. À cet effet, le refus d’entendre la cause du port de Québec par la Cour suprême, le 16 avril dernier, aura des impacts majeurs sur certains projets de développement ou, du moins, sur notre capacité à les encadrer et à les évaluer selon les normes environnementales québécoises.

Dans un premier temps, il faut comprendre qu’en vertu du principe de la séparation des pouvoirs, lorsque le gouvernement fédéral agit dans les domaines qui relèvent de la compétence législative du Parlement fédéral, le Québec et les provinces ne peuvent pas le forcer à respecter leurs lois. C’est d’ailleurs pour cette raison que le Bloc Québécois, avec son projet de loi, tente désespérément de faire modifier sept lois fédérales :

  • La Loi sur l’aéronautique (qui encadre les aéroports);
  • La Loi sur les ports de pêche et de plaisance (qui encadre les quais et les ports pour petits bateaux);
  • La Loi sur la capitale nationale (qui encadre les activités de la Commission de la capitale nationale à Ottawa et en Outaouais);
  • La Loi sur la radiocommunication (qui encadre l’installation des infrastructures de communication, incluant les antennes cellulaires);
  • La Loi sur les immeubles fédéraux et les biens réels fédéraux (qui encadre l’ensemble des propriétés fédérales);
  • La Loi maritime du Canada (qui encadre les ports);
  • La Loi sur la Banque de l’infrastructure du Canada (qui encadre les projets réalisés par l’entremise de la Banque et qui, actuellement, peuvent jouir de l’immunité fédérale par rapport aux lois provinciales et aux règlements municipaux).

Prenons le cas récent du port de Québec et la décision de la Cour suprême du Canada qui, en temps de pandémie, est passé presque complètement inaperçu alors qu’il s’agit d’une décision attendue depuis longtemps concernant un litige qui ne date pas d’hier. Le gouvernement du Québec avait connu une défaite judiciaire en septembre 2016 lorsque la Cour supérieure a déclaré inopérantes ou inapplicables plusieurs dispositions de la Loi provinciale sur la qualité de l’environnement (LQE) en lien avec les activités de IMTT-Québec, une entreprise privée qui loue des terrains dans le secteur Beauport du Port de Québec.

Ce jugement affirmait noir sur blanc que l’Administration portuaire de Québec (APQ) et l’entreprise IMTT- Québec n’avaient pas à demander d’autorisation au gouvernement du Québec pour construire sept réservoirs destinés à l’entreposage de produits chimiques et pétroliers puisque leurs activités se déroulent sur des terrains appartenant au gouvernement fédéral.

Comme l’explique si bien Jean Baril dans le Guide citoyen du droit québécois de l’environnement, « si ce jugement était maintenu, ces entreprises pourraient agrandir leurs installations, polluer de façon accrue le territoire du Québec et mettre en jeu la santé et la sécurité des citoyens sans égard aux lois environnementales dont se sont collectivement dotés les Québécoises et les Québécois. »

Reconnaissant que ce jugement pourrait avoir des conséquences néfastes sur la capacité du Québec et de ses municipalités à protéger l’environnement contre la pollution produite par des entreprises de juridiction fédérale, le Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE), conjointement avec Nature Québec, a décidé de déposer un mémoire afin de demander à la Cour d’appel du Québec d’intervenir dans ce dossier et de défendre les compétences environnementales du Québec.

Malheureusement, le jugement de la cour d’appel de septembre 2019 allait confirmer la position d’IMTT et de l’Administration portuaire de Québec, mais plusieurs avaient déjà prédit que cette affaire se rendrait probablement jusqu’en Cour suprême. Les environnementalistes n’allaient pas baisser les bras et ils ont continué de se battre pour le bien-être de la collectivité québécoise. Le 16 avril dernier, en rejetant la demande d'autorisation déposée par la Procureure générale du Québec d'interjeter appel à la Cour suprême, la décision de la Cour d'appel était donc maintenue et confirmait une fois de plus la préséance du fédéral sur nos lois, celles qui tendent à protéger notre environnement, notre territoire, notre santé.

Pour citer une fois de plus Jean Baril, « ce jugement pourrait devenir la ‘recette’ fédérale pour écarter les lois québécoises incommodant les activités des entreprises sous sa juridiction. Au-delà des zones portuaires, ce raisonnement pourrait aussi s’appliquer à la pollution causée par d’autres entreprises de transport maritime, ferroviaire et aérien sur le territoire du Québec.»

Ce dangereux jugement ne fait qu’ajouter à mon pessimisme. Après la pandémie, il nous faudra reprendre notre destin en main, car la collectivité québécoise ne cesse de se faire déposséder.

 

Crédit photo : rcinet.ca