Un regain d’intérêt pour les « beans » et les lentilles

2020/05/28 | Par Coralie Gaudreau et Laurence Guillaumie

Coralie Gaudreau est nutritionniste, étudiante à la maitrise en santé publique, Université Laval; Laurence Guillaumie est professeure, Faculté des sciences infirmières, Université Laval et membre Des Universitaires.

La pandémie de COVID-19 fait vivre une période d’incertitude difficile pour beaucoup d’entre nous. Les changements de situation d’emploi, les mises à pied permanentes ou temporaires, l’incertitude quant au retour au travail et le manque de perspective sur les événements à venir nous portent à revoir nos habitudes de consommation. Ce fardeau est d’autant plus important pour les personnes à faible revenu. De plus, on voit émerger des questionnements légitimes sur l’autonomie alimentaire des pays, c’est-à-dire sur leur capacité à nourrir leur population à partir de leurs propres ressources.

On constate aussi un retour aux pratiques protectionnistes pour les produits essentiels et les difficultés potentielles de nos agriculteurs pour produire les denrées alimentaires. Enfin, le lien établi entre l’émergence de zoonoses (maladies pouvant se transmettre de l’animal à l’être humain) comme la COVID-19 et la destruction des écosystèmes souligne l’urgence d’une meilleure prise en compte des défis environnementaux par nos décideurs politiques. Elle souligne également la cruelle réalité des désastres auxquels l’humanité s’exposera si elle ne change pas son interaction avec la biosphère, incluant ses habitudes de consommation.

Ce contexte constitue l’occasion idéale de porter un regard neuf sur les avantages des légumineuses. Ce groupe d’aliments se compose de différentes variétés de haricots (les « beans »), de pois et de lentilles, et offre un bon apport en protéines végétales (c’est-à-dire issues des plantes).

Outre leur empreinte écologique nettement inférieure à celle des protéines animales, les légumineuses sont largement produites au Canada, peu chères, nutritives et, surtout, délicieuses! Pourtant, les légumineuses sont boudées par la majorité des consommateurs, car elles représentent la source de protéines la moins consommée par les Canadiens.

Selon une enquête de Statistique Canada (2018), moins de 14 % de la population rapportait en avoir consommé lors de la journée de référence, contre 63% qui rapportait avoir consommé des protéines issues de la viande (1).

 

Des protéines bonnes pour l’environnement

La production alimentaire contribue à 30 % des émissions de gaz à effet de serre au plan mondial, dont la moitié sont attribuables à la production de viande (2,3). À titre de comparaison, 2% des émissions de gaz à effet de serre sont attribuables au transport aérien, qui est déjà considéré comme une importante source de pollution (4).

Plus précisément, la production de 1 kg de protéines provenant des haricots rouges nécessite 18 fois moins de terres cultivables, 10 fois moins d’eau et 9 fois moins de carburant que produire la même quantité de protéines du bœuf (5).

À l’horizon 2050, l’adoption d’une alimentation principalement végétale, tirant ses protéines des légumineuses, du tofu ou des noix, permettrait de réduire de 80 % les émissions de gaz à effet de serre liées à l’agriculture (2). Peu de mesures peuvent se prévaloir d’avoir, à elles seules, un tel impact dans la lutte contre les changements climatiques.

 

Des aliments nutritifs et abordables

Contrairement aux idées reçues, les protéines végétales, comme les légumineuses, peuvent répondre aux besoins nutritionnels d’un individu aussi bien que les protéines animales. En effet, les légumineuses sont une source de protéines, de fibres, de plusieurs vitamines et minéraux bénéfiques pour la santé et ne contiennent pas de gras saturés. La diète végétarienne, si elle est équilibrée, est d’ailleurs considérée parfaitement nutritive et pouvant contribuer à la prévention des maladies cardiovasculaires et de certains cancers.

De plus, les protéines végétales sont une source de protéines abordable, avec un coût estimé à 0,39 $ par tasse, bien moins chère que la viande de bœuf (2,74 $) ou de poulet (1,50 $) (6). C’est pour ces raisons que le nouveau Guide alimentaire canadien, paru en janvier 2019, s’est démarqué en recommandant d’augmenter leur consommation.

 

Le Canada : un producteur important

Dans un contexte d’incertitude économique, il est également important de préciser que le Canada est un leader mondial dans la production et l’exportation de légumineuses, puisqu’il est à l’origine de 40 % de la production mondiale (7). Il est même le premier producteur mondial de lentilles et de pois secs.

Si le Québec contribue modestement à cette production (soit 0,2 % de la superficie en légumineuses cultivées au Canada), la plus importante part provient de la Saskatchewan qui bénéficie d’un climat idéal dans les Prairies (7). Un système ingénieux de rotation des cultures, en alternant avec la production de céréales, permet de réduire l’impact environnemental et d’augmenter la productivité des cultures.

La crise actuelle souligne l’importance de se préoccuper des enjeux environnementaux et de notre autonomie alimentaire. Considérant les avantages des légumineuses au plan environnemental, leurs valeurs nutritives intéressantes et leur production importante au Canada, l’invitation est donc lancée d’en augmenter la consommation dans la population.

Dans le contexte actuel de confinement qui se poursuit, c’est l’occasion de découvrir les recettes proposées par de nombreux chefs québécois et d’apprivoiser cet aliment encore méconnu. En complément, il y aurait certainement lieu de favoriser l’autonomie alimentaire du Québec en développant les aliments produits en serres, qui accompagneraient bien les légumineuses et pour lesquels les producteurs pourraient recycler les biogaz produits par d'autres entreprises ou bénéficier des tarifs préférentiels tant attendus d’Hydro-Québec.

 

Références

  1. Statistique Canada [En ligne]. Ottawa (ON) : Statistique Canada; 2018. Sources de protéines dans l'alimentation des Canadiens [modifié le 22 mars 2018; cité le 9 avril 2020]. Disponible : https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/11-627-m/11-627-m2018004-fra.htm
  2. Willett W, Rockstrom J, Loken B, Springmann M, Lang T, Vermeulen S, et al. Food in the Anthropocene: the EAT-Lancet Commission on healthy diets from sustainable food systems. Lancet. 2019;393(10170):447-92.
  3. Malek L, Umberger WJ, Goddard E. Committed vs. uncommitted meat eaters: Understanding willingness to change protein consumption. Appetite. 2019;138:115-26.
  4. Air Transport Action Group [En ligne]. Air Transport Action Group; 2020. Facts & Figures [cité le 14 mai 2020]. Disponible :
    https://www.atag.org/facts-figures.html
  5. Sabaté, J., Sranacharoenpong, K., Harwatt, H., Wien, M., & Soret, S. (2015). The environmental cost of protein food choices. Public Health Nutrition, 18(11), 2067–2073.
  6. Santé publique Ottawa [En ligne]. Ottawa (ON) : Santé publique Ottawa; 2016. Le pouvoir des légumineuses [cité le 9 avril 2020]. Disponible : https://www.santepubliqueottawa.ca/fr/Public-Health-Topics/resources/Documents/oph_flyer_pulses_fr.pdf
  7. Bekkering E [En ligne]. Ottawa (ON) : Statistique Canada; 2015. Les légumineuses au Canada [modifié le 30 novembre 2015; cité le 9 avril 2020]. Disponible : https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/96-325-x/2014001/article/14041-fra.htm