Que veut dire l’évolution tranquille du premier ministre Legault?

2020/06/10 | Par André Jacob

L’auteur est professeur retraité de l’UQAM et ex-coordonnateur de l’Observatoire sur le racisme et les discriminations (UQAM)

Le premier ministre Legault maintient que le racisme systémique n’existe pas au Québec; à son déni, s’ajoute le fait de réduire le racisme aux attitudes et comportements racistes de quelques individus. Il semble oublier que le racisme sous toutes ses formes est un fléau qui interpelle tout le monde, peu importe l’origine ethnique et/ou nationale, la couleur de la peau, la religion, la langue, etc. Cela ne signifie pas pour autant que la société est raciste per se comme il le laisse entendre.

Le premier ministre semble exprimer une méconnaissance de ce phénomène institutionnalisé, structuré dit systémique. Le sens des mots importe lorsqu’on prédit un plan d’action contre le racisme, sinon les risques de dérive peuvent conduire à des solutions sans correspondance avec les véritables problèmes. À mauvais diagnostic, intervention erronée et risquée. Dans le cas du racisme, il y a urgence en la demeure, mais il ne faut pas pour autant tomber dans la précipitation et l’improvisation. Un bon regard dans le rétroviseur permettrait au gouvernement de comprendre les réalisations dans le passé et de comparer les bonnes pratiques et les tentatives ratées afin de ne pas répéter les mêmes erreurs.

Depuis les années 1970, de nombreux travaux ont été réalisés sur les enjeux liés au racisme et à la discrimination. Une masse critique de connaissances et d’expériences existent déjà au Québec. Pour n’en mentionner quelques-unes seulement, au début des années 90, tout un travail a été fait avec le Service de police de la ville de Montréal (SPVM) en termes de formation et d’analyse des pratiques. En 2006, une démarche en vue d’un plan d’action a déjà été faite et documentée (https://criec.uqam.ca/upload/files/Jacob.Interculturalisme2011.pdf). L’Observatoire sur le racisme et les discriminations de l’UQAM a aussi développé une expertise et des publications qui ont contribué à faire progresser les connaissances et les pratiques.

Dans Le Devoir du 9 mai, madame Émilie Nicolas explique le racisme systémique dans les services policiers (https://www.ledevoir.com/videos/580123/en-video-qu-est-ce-que-le-racisme-systemique). Il y a là une problématique particulière, mas le problème dépasse les services policiers. Ainsi, certaines lois iniques peuvent avoir des effets délétères à long terme, pensons aux lois et règlements qui maintiennent les Premières nations dans une condition de citoyens et de citoyennes de seconde zone depuis des siècles; elles contribuent à garder les stéréotypes négatifs bien ancrés dans l’esprit d’une grande partie de la population à leur égard.

À des fins d’explicitation de la problématique, ma collègue de l’UQAM, Micheline Labelle, a déjà publié un lexique des notions relatives au racisme et à la discrimination pour l’UNESCO (https://criec.uqam.ca/upload/files/cahier/029.pdf) qui peut s’avérer fort utile pour clarifier les termes ce même si monsieur Legault ne veut pas d’une guerre de mots. Dans le lexique, elle rappelle la définition du racisme systémique utilisée par la Cour Suprême du Canada colligée par madame M.T. Chicha-Pontbriand dans son livre Discrimination systémique: Fondement et méthodologie des programmes d'accès à l'égalité en emploi qui mentionna la  définition de la Cour Suprême du Canada dans le jugement ATF c C.N; on « parle d'une situation d'inégalité cumulative et dynamique résultant de l'interaction, sur le marché du travail, de pratiques, de décisions ou de comportements, individuels ou institutionnels, ayant des effets préjudiciables, voulus ou non, sur les membres de groupes visés par l'article 15 de la Charte. » Sur le terrain, cela signifie que des entreprises peuvent adopter des positions (non écrites, bien sûr) qui font en sorte que l’on n’embauche pas de musulmans, pas de femmes qui portent un foulard ou pas de personnes issues de groupes racisés. On évoquera parfois des motifs simples, dira-t-on : « c’est du gros bon sens… » Notre clientèle est mal à l’aise avec ces gens, dit-on parfois, comme justification.

Le racisme dépasse les services policiers, les entreprises privées et les politiques à l’égard des Premières nations, on le voit dans de multiples institutions, des organismes, des associations sportives, etc. En somme, il est temps de réagir et d’agir, mais encore faut-il le faire en connaissance de cause, d’une façon éclairée.