Une reprise en V, en W ou en K ?

2020/09/10 | Par Gabriel Ste-Marie

L’auteur est député du Bloc Québécois

Malheureusement, la pandémie devrait durer encore un certain temps. Selon le scénario optimiste, la population des pays riches pourrait être vaccinée d’ici la fin de 2021 et deux années supplémentaires seraient nécessaires pour que la population mondiale le soit.

D’ici là – sans oublier qu’il s’agit du scénario où tout irait pour le mieux – l’économie va battre de l’aile. Même après l’arrivée d’un vaccin efficace, l’économie se sera transformée, faisant des gagnants et des perdants. De nombreux économistes parlent d’une courbe de récession-relance non pas en « v » ou en « w », mais en « k », où les mieux nantis remonteraient la pente rapidement, laissant les défavorisés s’appauvrir. Nous devons et devrons lutter pour que notre société ne laisse pas les écarts de richesse s’accroître davantage.

Amazon, comme d’autres géants du web, fait des affaires en or avec la pandémie, ne paie pas d’impôts ici et utilise les paradis fiscaux, alors que nombre de nos commerces de proximité, qui animent nos centres urbains, ferment leurs portes. Il n’est pas évident qu’ils rouvriront tous après la pandémie, les habitudes de consommations s’étant transformées. Plusieurs feront faillite en laissant leurs employés au chômage.

 

Gestion de la dette sur le dos des provinces

La gestion des déficits et de la dette publique amènera aussi son lot de défis. Évidemment, lors d’une récession, l’État doit intervenir en soutenant l’économie. Même au prix d’un endettement public important. C’est le moins mauvais des scénarios et il s’agit probablement de la principale leçon économique du siècle dernier. Quand c’est bien fait, ça permet de limiter l’effondrement de l’économie.

D’ailleurs, le mois dernier, l’économiste américain Paul Krugman mettait son gouvernement en garde contre l’idée d’arrêter les paiements de soutien aux chômeurs, prédisant un effet négatif sur l’économie aussi important que le choc subit au printemps dernier lors de la première vague. Lorsque viendra le temps de rééquilibrer le budget, il faudra lutter pour que ça ne se fasse pas sur le dos des moins nantis. C’est malheureusement ce qui est arrivé la dernière fois.

Au milieu des années 1990, Ottawa a équilibré son budget en coupant dans les transferts à Québec et aux autres provinces, les obligeant à des compressions dans les services publics et à augmenter les taxes et tarifs. Au même moment, Ottawa réduisait les impôts des plus fortunés et des grandes entreprises, tout en fermant les yeux sur l’évasion et à l’évitement fiscal en pleine progression.

Le résultat a été un accroissement des inégalités et une augmentation de la pauvreté. Même si cet effet a été moindre au Québec que dans le reste du Canada, grâce aux mesures sociales mises en place par le Parti Québécois dans le cadre de la politique familiale, nous en subissons toujours les effets.

La tentation d’utiliser la pandémie pour centraliser davantage les pouvoirs à Ottawa sera grande. La marge de manœuvre financière étant à Ottawa, cela lui permet de dicter les programmes et imposer ses conditions dans les transferts aux provinces. S’immiscer dans les champs de compétences qui ne sont pas les siens est une pratique bien connue du gouvernement central.

Le résultat est que l’argent des Québécoises et Québécois sert à financer des programmes qui sont décidés par le voisin et qui répondent moyennement à nos besoins. Par exemple, Ottawa semble peu intéressé aux mesures de soutien pour les secteurs forts de notre économie, comme l’aéronautique, la forêt, l’aluminium ou encore notre écosystème de startups technologiques.

Par contre, on voit déjà venir les milliards de dollars en soutien à l’industrie pétrolière et la réduction des normes environnementales. Avant même la pandémie, en douze mois à peine, les libéraux avaient annoncé près de 20 milliards $ d’aide à cette industrie. Pendant la pandémie, ils ont suspendu une foule de contraintes environnementales, comme les études d’impacts des forages extracôtiers, tout en continuant à mettre en place des programmes d’aide ciblés.

 

Le déclin de l’exploitation des sables bitumineux

Paradoxalement, il semble de plus en plus évident que le secteur des sables bitumineux n’arrivera pas à se relever de la crise. Les grands acteurs de l’industrie pétrolière constatent l’émergence d’énergies renouvelables à faible coût comme le solaire et s’attendent à un fort accroissement du nombre de véhicules électriques. Le résultat est que les grands fonds d’investissement comme BlackRock ou les grandes banques comme HSBC se retirent des sables bitumineux.

Même chose pour les pétrolières européennes comme BP, Shell et Total. Elles se concentrent sur les gisements bon marché et tentent de se diversifier dans les énergies renouvelables. Quant aux pétrolières américaines, comme Exxon et Chevron, elles misent plutôt sur le pétrole de schiste en rachetant au rabais leurs concurrentes en situation de faillite.

À l’opposé des acteurs de l’industrie, tout porte à croire que libéraux et conservateurs vont plutôt jouer à qui aide le plus cette industrie. Vingt pour cent des fonds  viendront du Québec, même s’il s’agit de doper un cheval mort. Et tant pis pour l’environnement ! Le prix politique à payer est trop important dans l’Ouest pour s’y soustraire.

Paradoxalement, la chute de ce secteur pourrait avoir un effet positif sur notre secteur manufacturier. Le dollar canadien est une pétrodevise et, en temps normal, son cours suit celui du pétrole. La diminution de l’importance de ce secteur réduira la valeur de la devise et rendra notre secteur manufacturier plus concurrentiel. Notre industrie du tourisme sera également stimulée, lorsque les frontières rouvriront.

Il est donc important de saisir cette occasion. À ce sujet, les suggestions du document produit par les grandes centrales syndicales du Québec, « Relancer et repenser le Québec », sont très pertinentes, allant d’un Buy Québec Act à la réindustrialisation du Québec, en passant par des aides ciblées à nos secteurs clés.

Malheureusement, une foule d’incertitudes demeure, à commencer par la situation chez notre voisin du Sud. En plus des élections de novembre, leur gestion de la crise aura un impact sur leur économie et donc sur la nôtre. Même chose avec leurs guerres commerciales et la valeur de leur devise qui fluctue beaucoup.

 

De nouvelles habitudes de consommation

Les risques d’une récession à l’échelle mondiale suite à la pandémie demeurent élevés. Il est difficile de tracer un portrait précis de l’économie post-COVID. Certaines habitudes auront changé. Pensons au télétravail, à l’achat en ligne, mais aussi aux habitudes de consommation. À ce sujet, l’économiste Kenneth Rogoff rappelle que les personnes qui ont vécu la crise des années 1930 ont modifié leurs habitudes pour le reste de leur vie, craignant une nouvelle crise. Il explique que ça pourrait être le cas cette fois aussi.

La situation de Montréal est aussi préoccupante. Par exemple, avant la pandémie, Montréal était la première destination des Amériques pour les congrès internationaux, attirants deux fois plus de ces événements que sa plus proche rivale, New York. Tout s’est arrêté avec la crise et il est loisible de se demander si Montréal retrouvera sa position de tête une fois la tempête passée.

La relance devra se faire sous le signe d’une économie plus verte, la question des bouleversements climatiques étant incontournable. L’État devra aussi redoubler d’efforts pour soutenir la formation et l’éducation. L’économie se sera transformée et tout doit être mis en place pour que nos travailleuses et travailleurs, présents et futurs, puissent en sortir gagnants.

Enfin, il est grand temps de refermer les diverses échappatoires fiscales qui permettent aux géants du web, aux grandes banques et aux multinationales de ne pas payer leur juste part d’impôts. La société n’a plus les moyens de leur offrir de tels cadeaux. On peut toutefois se poser la question : est-il plus facile de faire plier Ottawa que de réaliser notre indépendance?