Le drapeau des Patriotes : étendard des anti-masques

2020/09/16 | Par Antoine Morin-Racine

De nos jours, les trois couleurs du drapeau Patriotes n’annoncent jamais grand chose de bon quand on les voit au loin. L’ancien symbole qui a rallié les républicains du Bas-Canada à la rébellion semble maintenant être devenu l’étendard fétiche de toutes les sortes de « tatas » de la belle province.

Que ça soit les islamophobes de La Meute qui avaient aussi le culot de s’approprier le « Unity Flag » autochtone, il y a quelques années ou, plus récemment, nos courageux militants pro-infection, pour qui le tricolore bas-canadien est devenu un symbole synonyme de l’extrême droite québécoise et des conspirationnistes de tout acabit.

Il pue tellement la « libârter » des causes futiles de la droite conspirationniste qu’on en vient même à le comparer au drapeau des États Confédérés ![1] Certes, cette comparaison a été faite par une journaliste montréalo-anglophone un peu mêlée, mais ce commentaire erroné en dit long sur la perception de plusieurs à propos de ce drapeau dont la symbolique est prisonnière de la droite complotiste québécoise.

 

Une histoire plus compliquée qu’on ne le pense

Le tricolore bas-canadiens est brandi pour la première fois en 1832 à la sortie de prison de deux éditeurs de journaux, le Canadien-français Luger Duvernay du journal La Minerve, et l’Irlandais Daniel Tracey du Vindicator, emprisonnés pour des propos séditieux envers le Conseil Législatif du Bas-Canada.  

Dans les années tumultueuses qui suivent, il est popularisé lors des nombreuses assemblées populaires tenues au pays, puis brandi en opposition au pouvoir britannique lorsque viennent les révoltes de 1837 et 1838. Le drapeau est un tricolore horizontal inspiré du drapeau révolutionnaire français et dont les trois couleurs représentent l’unité des trois peuples européens de la colonie.

L’affaire c’est que, voyez-vous, l’histoire de la lutte des Patriotes en est une qui est plus compliquée que « français=bons, anglais=méchants ». C’est premièrement une histoire bien plus politique qu’ethnique. La révolution que souhaitaient les Patriotes était de nature libérale, bilingue, républicaine. Dans le jargon marxiste, on dirait que c’était une révolution « bourgeoise », menée par des avocats et des médecins dont certains (particulièrement Papineau) étaient très frileux à la lutte armée. On est déjà bien loin de la vision simpliste et purement ethnique d’une lutte pour la seule « indépendance des français d’Amérique » à laquelle certains aiment bien croire.

 

Un drapeau vide de sens

Mais tout ça n’a pas vraiment d’importance aux yeux de nos chers conspirationnistes qui l’agitent frénétiquement par peur de la « dictature du masque ». Bien que le symbole ait été importé dans le mouvement par des éléments de l’extrême-droite nationaliste, la plupart d’entre eux ne pourraient probablement pas nommer un autre patriote que Papineau et ne savent probablement même pas ce que les trois couleurs du drapeau veulent dire.

Pour eux et elles, le drapeau est un fétiche (dans le sens anthropologique du terme) : un objet qu’on idolâtre pour ses caractéristiques mystiques. Quand il est hissé, il conjure l’idéal de la libârter avec un grand Â. La libârter d’avoir peur, peur des immigrants, peur des masques, peur des vaccins. La libârter d’aller au Costco sans faire la file dans le stationnement, la libârter de pas avoir un petit plexiglass dans la face quand on mange au travail, la libârter de pouvoir harceler le service à la clientèle quand on te demande simplement de te mettre de bout de tissu. La libârter de ne pas être incommodé. La libârter ne pas avoir à remettre en cause le sacro-saint mode de vie américano-consumériste, que cela soit pour une pandémie mondiale ou pour l’avenir de la planète. Voilà ce pourquoi nos valeureux anti-masques se battent, voilà tout ce pourquoi ils s’approprient ce symbole révolutionnaire…

 

Pourquoi le leur reprendre ?    

Certain.es pourraient avoir tendance à croire que c’est peine perdue. Ce symbole leur appartient déjà, et ce depuis un temps déjà, pourquoi ne pas les laisser se rouler dans leur boue complotiste avec ? Permettez-moi de persister.

Le tricolore patriote, en tant que symbole, est là pour rester. Sa valeur historique au récit québécois (et même canadien) est extrêmement importante, alors pourquoi devrait-on laisser son monopole symbolique à un groupe dont certains croient dur comme fer à un « complot juif international » ?

Je comprends que la teinte ultra-nationaliste dont on l’a marqué au fer rouge depuis quelques années puissent en refroidir certain.es et on se doit effectivement de faire la critique historique des Patriotes. De ne pas les placer sur un piédestal idéologique du haut duquel leur symbole est incritiquable. Malgré leur combat honorable, il ne faut pas oublier que leur aile parlementaire a refusé le droit de vote aux femmes dans les années précédant la rébellion.   

Je reste pourtant persuadé que le tricolore canadien peut et se doit de représenter plus que ce à quoi il est réduit en ce moment.  Au-delà de sa vocation nationaliste, le drapeau Patriote est avant tout un symbole révolutionnaire. La représentation visuelle d’un rêve de changement, de la lutte contre le statu quo et de la désobéissance envers l’État. Au-delà de sa vocation comme emblème des idéaux politiques libéraux et républicains d’une partie de la bourgeoisie de l’époque, le drapeau Patriote est un symbole du progrès. Pas le progrès des industrialistes, celui qui enrichit une poignée de technocrates assis au bout d’une pyramide d’exploitation, mais celui des militants. Celui qui se gagne au terme de luttes acharnées contre le pouvoir. Celui qui fait bouger la lente marche essentielle de nos sociétés vers un monde plus juste.

Le vert blanc rouge a le potentiel de mieux représenté le Québec diversifié et à l’histoire tortueuse que nous découvrons aujourd’hui. Le Québec de Mathieu Da Costa, d’Olivier Le Jeune, de Nanouk et de plusieurs d’autres. L’union de plusieurs peuples tous liés par un territoire et une histoire dont on subit encore les conséquences. Au risque d’en choquer quelques-un.es, je me sens mieux représenté par les couleurs de révolutionnaires que par la croix de Saint-Michel et le symbole d’une royauté décapitée.

« C’est encore bien juste un bout de tissu » diront les plus anti-nationalistes, à qui j’aimerais rappeler l’importance des symboles pour un mouvement social, particulièrement à l’ère aussi médiatisée que celle dans laquelle on vit. Traitez moi d’utopiste, mais le drapeau Patriote pourrait et, selon moi, devrait être le symbole d’un Québec en changement, d’un Québec qui marche avec un pas assuré vers la décolonisation (de lui-même et des peuples autochtones de son territoire), d’un Québec qui mène un combat acharné pour la sauvegarde de son environnement et l’avenir de la planète, d’un Québec qui ne fait pas seulement qu’accepter mais qui célèbre sa diversité culturelle, d’un Québec qui fait un pied de nez au système économique crasse dans lequel on évolue, d’un Québec Libre pour de vrai.