Le gouvernement Legault et la Déclaration de l’ONU sur les droits autochtones

2020/09/22 | Par André Binette

L'auteur est constitutionnaliste

Le premier ministre du Québec a exprimé récemment sa réticence à donner suite à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. La Déclaration a été adoptée à une écrasante majorité de cent quarante-trois voix contre quatre, et onze abstentions, par l’Assemblée générale des Nations Unies en 2007 après plus de vingt ans de négociations.  Seuls quatre États colonisateurs ont voté contre : le Canada (alors gouverné par Stephen Harper), les États-Unis, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Trois de ces États ont adhéré à la Déclaration après des changements de gouvernements; seuls les États-Unis demeurent récalcitrants. Le Canada y a adhéré en 2016. La Déclaration exprime un vaste consensus de la communauté internationale que le Québec refuse de soutenir en se plaçant à l’arrière-garde des États colonisateurs.

Les motifs du Premier ministre sont que la Déclaration pourrait remettre en question l’intégrité du territoire du Québec et donner un droit de veto aux peuples autochtones en ce qui concerne le développement des ressources naturelles. Ces deux questions sont précisément celles qui ont retardé l’adoption de la Déclaration pendant deux décennies. Elles ont été très longuement étudiées et débattues par des experts du monde entier et les services juridiques de tous les États qui l’ont signée.  Les préoccupations de M. Legault révèlent une profonde méconnaissance du dossier. Il ne peut pas sérieusement croire que la majorité des États souverains ont été bernés ou qu’ils ont consenti aux conséquences qui l’inquiètent.

Comme il arrive souvent, la Déclaration est le fruit d’un compromis douloureux. Les peuples autochtones de la Terre, en échange d’autres droits dans la Convention, ont dû reculer bien à contre-cœur sur les deux questions soulevées par le Québec. Si l’article 1 de la Déclaration reconnaît leur droit à l’autodétermination, le dernier article (l’article 46) précise que rien dans la Déclaration ne peut remettre en cause l’intégrité du territoire d’un État souverain. Aux dernières nouvelles, le Québec faisait partie de l’État souverain du Canada. S’il devenait souverain, il pourrait lui-même bénéficier de l’article 46. Où est le problème sinon la mauvaise volonté du Québec?

L’article 46 a été ajouté peu avant le vote final à la demande du groupe formé par les nombreux États africains de l’ONU, qui craignaient tous la portée possible du droit à l’autodétermination pour l’intégrité de leurs propres territoires. La Déclaration n’aurait jamais été adoptée sans leur appui parce qu’il fallait un consensus sur chaque continent pour lui donner un plus grand poids juridique. Le premier ministre Legault semble ignorer cette réalité géopolitique majeure. Son gouvernement est-il trop provincial?

L’autre objection soulevée par M. Legault ne résiste pas davantage à l’analyse. L’article 32 stipule que les États sont tenus de consulter les peuples autochtones et de coopérer avec eux de bonne foi en vue d’obtenir leur consentement à des projets de développement sur leurs territoires. N’importe quel juriste sérieux dira que c’est aussi l’état du droit canadien, et que consulter de bonne foi en vue d’obtenir le consentement n’est nullement une obligation d’obtenir ce consentement.  Encore une fois, la communauté internationale n’aurait jamais consenti au droit de veto qui effraie tant M. Legault. Consulte-t-il des juristes sérieux?

Le vrai problème aux yeux du gouvernement du Québec n’est peut-être pas celui qu’il mentionne, mais plutôt l’article 28 de la Déclaration qui impose une obligation d’indemniser les peuples autochtones pour les projets qui se sont réalisés sans leur consentement. Cela ne veut pas dire que ce consentement était obligatoire, mais que le projet devait être négocié de bonne foi sur la base de la reconnaissance de leurs droits.  Le gouvernement du Québec craint sans doute de devoir indemniser les Innus pour Manic 5 ou les Attikameks pour le réservoir Gouin, ce qui devra inévitablement se faire dans le cadre de nouvelles Paix des Braves qu’un gouvernement plus courageux et visionnaire signera un jour.

Le gouvernement Legault est un gouvernement du vingtième siècle perdu dans le vingt-et-unième. Comme dans le dossier de l’environnement, il s’accroche à une vision du passé qui est en voie de disparition. La Déclaration sur les droits autochtones est l’équivalent pour notre temps de la Déclaration universelle de l’ONU sur les droits humains fondamentaux adoptée en 1948 après les crimes contre l’humanité de la Seconde Guerre mondiale. La Déclaration universelle a profondément marqué l’humanité et son influence a notamment conduit à l’adoption des chartes des droits du Québec et du Canada qui sont des assises fondamentales de notre société. Le gouvernement Duplessis ne tenait pas compte de la Déclaration universelle et l’histoire lui a donné tort. 

De même, la Déclaration des droits autochtones donne suite à la reconnaissance par la communauté internationale des crimes contre l’humanité qu’ont été l’invasion et l’occupation européennes sur tous les continents, que cela plaise ou non au gouvernement Legault. L’histoire du vingt-et-unième siècle lui donnera tort à son tour. Les gouvernements futurs du Québec se définiront par leur désaccord avec lui.

Mais que doit-on attendre d’un premier ministre dont la ministre des Affaires autochtones dit que les peuples autochtones forment le quatrième parti d’opposition? Elle les voit toujours comme des obstacles au développement, et non comme des partenaires privilégiés et incontournables qui détiennent des droits fondamentaux de nature particulière auquel nul gouvernement du Québec ne peut déroger. La culture du passé se trouve dans son esprit, non pas là où elle le croit.