Immigration : la connaissance préalable du français ne suffit pas

2020/09/29 | Par Anne Michèle Meggs

Lors du dernier débat de la course à la chefferie du Parti Québécois, les candidats ont traité du dossier de l’immigration. Dans n’importe quel débat sur l’immigration au Québec, la question de langue française prend une place importante. L’engagement facile et tentant qui est souvent présenté dans ce type de forum est de s’assurer que les personnes qui sont sélectionnées par le Québec connaissent le français avant d’arriver au Québec.

Ce qui est mal compris est qu’essentiellement la totalité des personnes sélectionnées dans la sous-catégorie de travailleurs qualifiés depuis au moins quatre ans était déjà au Québec au moment de leur sélection. Ces personnes sont arrivées au Québec pour travailler ou étudier grâce à un permis de séjour temporaire. Les personnes qui sont reconnues comme réfugiées sur place habitent évidemment aussi au Québec au moment d’obtenir leur résidence permanente. Ces admissions sont comptées dans la catégorie d’immigration humanitaire.

Il faut aussi comprendre que les conditions pour obtenir un permis de séjour temporaire sont fixées par le gouvernement canadien, soit directement ou indirectement selon les clauses de droit à la mobilité de la main-d’œuvre des ententes internationales. Il y a plusieurs différents types de permis temporaires, chacun avec ses propres conditions, dont certaines plus contraignantes que d’autres, par exemple en termes de durée. Mais, dans aucun cas, il n’y a de condition linguistique. Les seules exigences linguistiques découlent de l’institution d’enseignement où la personne va étudier ou de l’employeur, s’il s’agit d’un travailleur. La reconnaissance sur place des personnes réfugiées relève également du gouvernement canadien, tout comme la décision de leur accorder la résidence permanence. Il n’y a évidemment pas d’exigence d’une connaissance préalable du français dans ces cas.

On a vu récemment que deux tiers des employeurs, sur l’île de Montréal, qui affichent les exigences linguistiques lors l’embauche, exigent ou souhaitent que la candidate ou le candidat ait une connaissance de l’anglais. Dans 41 % des cas, c’est afin de pouvoir communiquer oralement à l’intérieur de l’entreprise. Aussi sur l’île de Montréal, un quart de la population répond « l’anglais » à la question « quelle est la langue utilisée le plus souvent au travail ». Dans certains quartiers, c’est plus de 50 %. On sait également que les universités de langue anglaise attirent un pourcentage disproportionné (44 % à l’automne 2018) des étudiantes et étudiants internationaux qui font leurs études au Québec chaque année. Un quart de ces mêmes jeunes venait de la Chine, des États-Unis et de l’Inde. De plus, n’oublions pas que, selon la Charte de la langue française, un parent avec un permis temporaire peut envoyer ses enfants à l’école publique anglaise. Entre 2002 et 2015, près de 20 000 jeunes ont été admis à l’école anglaise publique grâce à un permis de séjour temporaire.

Certains permis temporaires peuvent être renouvelés à plusieurs reprises. Les titulaires de ces permis peuvent donc demeurer ici pendant plusieurs années. Pour rester au Québec de manière permanente, une personne au Québec avec un permis temporaire doit demander un Certificat de sélection du Québec (CSQ) du ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI). La majorité des cas sont admissibles au Programme d’expérience québécoise (PEQ), mais une demande peut également se faire par le Programme régulier des travailleurs qualifiés (PRTQ) en déclarant son intérêt sur la plateforme Arrima.

Dans le cas du PEQ, il faut être capable de faire la démonstration d’une connaissance du français oral de niveau intermédiaire avancé. Dans le cas du PRTQ, jusqu’à 16 points (sur un maximum de 103 pour une personne seule) sont accordés pour une connaissance du français de niveau intermédiaire avancé.

L’automne dernier, la CAQ a ouvert les cours de francisation à de nouvelles clientèles, notamment aux titulaires des permis temporaires. Il sera intéressant de voir combien en profitent et, plus important encore, combien demandent ensuite un CSQ et obtiennent la résidence permanence. Puisque les demandes de permis temporaires sont faites au fédéral, le MIFI n’a généralement pas de dossier sur ces personnes. Impossible donc de les contacter de manière systématique pour leur offrir des services de francisation ou d’évaluation des compétences. Le ministère ne sait pas combien parmi les temporaires ne connaissent pas le français. De toute manière, tant que la personne n’a pas signalé son intérêt de rester au Québec, cela pourra représenter beaucoup de ressources et d’énergie pour très peu de résultats.

Assumons le meilleur scénario, que toutes les personnes temporaires sélectionnées par le Québec pour y rester ont une bonne connaissance du français. Si beaucoup de ces personnes ont passé plusieurs années à étudier ou à travailler en anglais et leurs enfants ont fréquenté l’école anglaise, peut-on raisonnablement croire qu’elles vont parler français chez eux ? Ou en public ? Plus de 94 % de la population du Québec répond oui à la question du recensement, « Êtes-vous capable de soutenir une conversation en français ? ». Mais c’est très loin du 71 % qui répond parler uniquement le français à la maison.

Le nombre de permis temporaires émis par le gouvernement canadien augmente de manière exponentielle depuis les dernières années. Le nombre de détenteurs de permis temporaires au Québec a presque triplé entre le 31 décembre 2009 (62 015) et le 31 décembre 2019 (181 975). Un ministre fédéral a récemment vanté le fait qu’il n’y a pas de plafond sur le nombre de permis émis.

Politiquement, il est heureusement très mal vu de refuser la résidence permanente ou un CSQ à une personne résidente de longue date, souvent avec une famille et des enfants nés ici, et de l’expulser du pays. Il s’agit d’un geste foncièrement inhumain. Ces personnes ont fait leurs preuves. Elles travaillent et paient leurs impôts (sans avoir le droit de vote d’ailleurs), ont tissé un cercle d’amis. Sans coûter un cent à l’État en services d’intégration, elles se sont intégrées sur presque tous les plans. Sauf peut-être sur le plan linguistique. On ne sait pas combien d’entre elles vont contribuer à la pérennité de la langue française.

Avec cette tendance de sélection des temporaires pour atteindre les seuils planifiés d’immigration permanente, il ne suffit plus de réclamer que les candidates et candidats à l’immigration au Québec connaissent le français. Il faudra repenser complètement nos politiques d’immigration et d’intégration et linguistique en fonction de cette nouvelle réalité. Un défi rendu d’autant plus difficile par le fait que le Québec comme province ne contrôle pas tous les leviers dans ces domaines et ne participe pas aux négociations des ententes internationales.