Peut-on faire confiance au duo Guilbeault-Wilkinson ?

2021/11/05 | Par Monique Pauzé

L’auteure est députée du Bloc Québécois.

Il a fallu attendre plus d’un mois avant que le premier ministre Trudeau dévoile finalement la composition de son cabinet. Steven Guilbeault sera ministre de l’Environnement et l’ancien ministre de l’Environnement, Jonathan Wilkinson, est nommé ministre des Ressources naturelles.

Ma première réaction fut positive. J’ai toujours pensé qu’autour de la table des ministres, lorsque des discussions ont lieu, le ministre des Ressources naturelles a souvent le dernier mot.  Par exemple, lorsqu’il a été question, il y a quelques mois à peine, des forages pétroliers extracôtiers au large de Terre-Neuve, malgré toute logique environnementale, malgré la crise climatique, le gouvernement a donné son autorisation. Le ministre des Ressources naturelles avait gagné.

Donc, le Bloc accueille favorablement la nomination de Steven Guilbeault et espère que sa nomination est un signe que le premier ministre est finalement sérieux dans son intention d'amorcer résolument le virage, la transition dont le Canada, le Québec et la planète ont besoin. Quand on nomme, au poste de ministre de l’Environnement, un militant expérimenté et que le nouveau ministre des Ressources naturelles a aussi porté le chapeau de l’environnement, on peut souhaiter que ce ne soit pas juste une question d’image.
 

Quelques interrogations tirées de mon expérience

Mais, après six ans au Parlement, j’ai déjà vu neiger et plusieurs questions subsistent dans mon esprit. Est-ce que le passé militant de M. Guilbeault est garant de ce qu’il pourra mettre de l’avant dans le gouvernement Trudeau ? Comment, à titre de ministre, pourra-t-il s’opposer au puissant lobby pétrolier?

M. Wilkinson a, de son côté, pris quelques bonnes décisions lorsqu’il était ministre de l’Environnement. L’interdiction des plastiques à usage unique, ou encore le maintien d’une évaluation environnementale pour un projet d’agrandissement d’une mine de charbon en Alberta, en sont des exemples.

Par contre, il a cédé à plusieurs revendications de l'Association canadienne des producteurs pétroliers (ACPP), qui n’a pas hésité une seconde, au moment de la fermeture de l’économie en lien avec la COVID 19, en mars 2020, à réclamer de nombreux assouplissements. Parmi ceux-ci : ne pas respecter les limites pour les émissions de carbone, assouplir les normes sur les combustibles, ne plus inspecter les explorations pétrolières actuelles, ne pas augmenter la taxe carbone, etc.

M. Wilkinson a accepté d’assouplir ces normes. Il a fait don de 500 millions de dollars pour Coastal Gaslink, le fameux projet qui est à l’origine de la crise ferroviaire qui a paralysé le Canada tout entier lorsque les Wet'suwet'en s’opposaient à ce que le gazoduc passe sur leur territoire. Il a aussi investi deux milliards de dollars pour des puits albertains et j’en passe.
 

Un bilan catastrophique

Je vous disais, d’entrée de jeu, que ce pourrait être un bon duo, mais il est cependant prudent d’en douter. Le bilan du gouvernement Trudeau est catastrophique.  De 2015 à 2019, pendant le mandat majoritaire du gouvernement libéral, les émissions de gaz à effet de serre (GES) ont augmenté.  Dans L'inventaire national des gaz à effet de serre de 2019, qui est présenté chaque année à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, on peut lire que le Canada a émis environ un million de tonnes de GES de plus que l’année précédente.

Les émissions ont augmenté et les subventions aux énergies fossiles sont stratosphériques. On apprenait, avec la publication des derniers chiffres de Oil Change International, que les combustibles fossiles au Canada avaient plus de soutien financier public que ceux de n’importe quel autre pays développé.  Avec l’octroi de près de 14 milliards de dollars en moyenne par an à l'industrie pétrolière, le Canada a apporté environ 14,5 fois plus de soutien aux combustibles fossiles qu’aux énergies renouvelables. Nous sommes à des années-lumière de ce qui se fait dans tous les autres pays du G20.
 

Embêter le Québec pour se dédouaner

Et que penser de la récente sortie du nouveau ministre ? Quelques jours seulement avant la COP26, Steven Guilbeault, en bon fédéraliste, a annoncé qu’il y aura une évaluation environnementale fédérale sur le projet d’infrastructure de Québec, le fameux troisième lien. Pourquoi une telle déclaration à ce moment-ci ?

Le Québec se présentera à la COP26 avec, dans ses mains, la volonté de faire du Québec un pôle mondial pour toute la filière de la batterie électrique, de l’extraction à l’assemblage des batteries. Il table sur l’hydroélectricité, les contrats avec l’État de New York et la récente décision de rejeter l’exploitation des hydrocarbures. Le Québec doit être le berceau de l’électrification des transports. Le Québec pourrait être un modèle par ses actions.

À mon avis, cela créerait de l’ombre au gouvernement fédéral, qui devra défendre des politiques indéfendables. Donc, le nouveau ministre sort publiquement sur le troisième lien.  Les autres pays vont-ils parler de cette infrastructure aux représentants du Québec ?  Non !  Mais les journalistes du Canada, oui !  Je le vois comme ça : « Tu penses qu’on ne t’en parlera pas ? Nous, au Canada, on va s’organiser pour en parler. »

Ainsi, le nouveau ministre et son gouvernement viennent de légitimer les attaques qui pourraient venir des journalistes canadiens.

Les libéraux fédéraux ne laisseront aucune place au Québec dans cette COP. Nous avons le choix. On peut demeurer dans ce pays pétrolier et souhaiter qu’un jour il prenne ses responsabilités face à l’urgence climatique.  On peut aussi décider de fonder un pays qui aurait toute la légitimité pour être un exemple sur la scène internationale en matière de lutte aux bouleversements climatiques.

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