La Barbade devient une république

2021/12/03 | Par André Binette

L'auteur est constitutionnaliste

Ce 30 novembre à minuit, la Barbade est devenue une république. La dernière gouverneure générale est devenue la première présidente du pays. Elle a prêté allégeance à son peuple et à sa constitution plutôt qu’à Elizabeth II, qui a tout de même envoyé ses félicitations.

Un historien de l’île a déclaré que la monarchie britannique affaiblissait la dignité des citoyens, particulièrement celle des parlementaires. Notre classe politique s’accommode de ce manque de dignité. Le gouvernement du Québec très provincial préfère parler du retour improbable des Nordiques et d’un troisième lien ridicule et désastreux.

La Barbade revient de loin. C’est un micro-État insulaire de 400 kilomètres carrés, situé tout près de l’Amérique du Sud à l’extrémité des Antilles. Sa population d’environ 300 000 personnes fait que sa densité démographique est la plus élevée des Amériques. Son nom officiel, Barbados, viendrait des premiers Européens, des Portugais barbus, qui ont débarqué. En 1625, les Britanniques les ont remplacés. Ils ont commencé par massacrer les Arawaks, un peuple autochtone qui vivait paisiblement depuis des siècles et qui a totalement disparu. La Couronne que nous subissons a commis plusieurs crimes contre l’humanité.

Puis le colonisateur a fait venir des esclaves saisis en Afrique de l’Ouest. Le sucre avait très longtemps été réservé aux élites privilégiées en Europe. Il devenait désormais possible d’en produire de grandes quantités à partir de la canne à sucre, ce qui fit la fortune de nombreuses familles anglaises, de même que françaises et espagnoles dans les îles voisines. Ce travail abrutissant était à forte intensité de main-d’œuvre. D’autres marchands de Londres, de Bordeaux ou d’Espagne se sont spécialisés pendant trois siècles dans le transport d’esclaves. Il fallait constamment les renouveler, car on a découvert dans un cimetière de la Barbade, proportionnellement le plus grand du monde, que leur espérance de vie ne dépassait pas 18 ans pour les hommes, et qu’elle était moindre pour les femmes. Les Britanniques ont fait d’un paradis un enfer sur terre.

La canne à sucre était plus rentable que la traite des fourrures au 18e siècle, et les industries forestière et minière étaient encore inconnues, ce qui fait que, placé devant un choix par les Britanniques, Louis XV a préféré conserver la Martinique et la Guadeloupe plutôt que la Nouvelle-France. Voltaire a approuvé cet abandon de quelques arpents de neige. Les Français préféraient l’esclavage pour assurer le commerce international et le développement économique. 

Les Britanniques ont officiellement aboli l’esclavage dans leur empire en 1834, mais il a perduré illégalement pendant plusieurs années. La Révolution française l’avait aboli plus tôt, mais Napoléon l’a rétabli. La France est le seul pays à avoir rétabli l’esclavage dans les Antilles.

Les Britanniques ont cependant la distinction d’avoir inventé à la Barbade le modèle des plantations dans lequel les esclaves travaillaient à une échelle industrielle. L’agro-business était né.  Ce modèle a ensuite fait fureur au sud des États-Unis, dont les plantations de coton alimentaient l’industrie textile britannique, alors la première au monde. C’est ce qui fait que, après avoir aboli l’esclavage dans ses colonies, l’Angleterre a tout de même financé la rébellion des Sudistes dans la guerre de Sécession, mais n’a pas osé intervenir sur le plan militaire pour ne pas déplaire à son opinion publique qui aurait mal compris. La Cour suprême des États-Unis a répudié ces dettes une fois la guerre civile terminée.   

L’île de la Barbade est devenue indépendante en 1966 dans la vague mondiale de décolonisation qui a suscité le mouvement indépendantiste québécois mais dont le Québec n’a pas su profiter. À cette époque, elle était l’une des colonies les plus pauvres de l’ancien empire britannique.  Aujourd’hui, ses indicateurs de développement humain sont parmi les meilleurs et on dit que ses services publics sont excellents. L’indépendance a manifestement été une grande réussite économique et sociale. Au Québec, on n’est pas capables.

La Couronne est maintenant à la remorque de ses anciennes colonies. Le prince Charles était présent à la cérémonie et a convenu que l’esclavage était une atrocité, mais il s’est bien gardé d’évoquer la possibilité de paiements de réparation. Son grand-père George VI avait accepté après l’accession de l’Inde à l’indépendance en 1947, qui fut un point tournant, de transformer l’empire en Commonwealth d’États souverains associés. Mais il n’acceptait pas les républiques, car il tenait à rester chef d’État de tous ces pays, ce qui a exclu l’Irlande et la Birmanie (aujourd’hui le Myanmar). Encore une fois, l’Inde lui a forcé la main en se transformant en république en 1950. Les vannes se sont alors ouvertes.

Après l’accession au trône de sa fille en 1952, des dizaines de nouvelles républiques sont devenues membres du Commonwealth au moment de leur indépendance. La reine a accepté d’être considérée le chef du Commonwealth plutôt que chef d’État dans leur cas. Cette nouvelle fonction n’est pas héréditaire, mais le prince Charles a obtenu la garantie qu’il l’obtiendrait après une discrète, mais intense campagne diplomatique du gouvernement britannique.   Aujourd’hui, plus des deux tiers de la cinquantaine d’États membres du Commonwealth sont des républiques.

Le Canada fait partie du dernier carré de résistance aux côtés de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, de la Jamaïque et de quelques micro-États. Il y avait une vingtaine d’années que l’un de ces derniers n’avait pas choisi la république. Plusieurs États attendraient poliment la fin du long règne actuel, dont ils fêteront les soixante-dix ans en 2022.

Le Canada voudra probablement que d’autres passent aux actes avant lui et que son opinion publique hors-Québec soit clairement en faveur de l’abolition de la monarchie. Un sondage la semaine dernière annonçait que 60% des Canadiens étaient de cet avis, mais il est marqué par l’appui à 80% des Québécois. Dans les autres provinces, les nouveaux immigrants, qui n’ont pas la fibre monarchiste, accroissent inéluctablement les appuis à la république, mais la majorité n’est pas encore atteinte.  

Le Canada a de plus un problème constitutionnel. On s’est passé du Québec pour adopter la Constitution de 1982, mais l’article 41 de celle-ci a l’inconvénient de donner à chaque province un droit de veto sur la monarchie. Le Québec pourrait se dire qu’il n’a qu’à attendre le jour ou le reste du Canada sera demandeur, et faire payer très cher son consentement. Le gouvernement Legault avoue son impuissance en ne faisant rien pour voir ce jour arriver. Sa politique constitutionnelle consiste à insérer la nation québécoise unilatéralement dans la Constitution canadienne. Les tribunaux y verront probablement une intrusion malvenue peu de temps après les prochaines élections. Le Québec aura ajouté un nouvel échec stérile à son histoire pendant que la Barbade affiche sa fierté.