Dix millions de morts depuis 1996

2023/03/22 | Par Luc Allaire

Pendant que la guerre en Ukraine fait la manchette tous les jours, une autre guerre d’agression se déroule en Afrique et dont aucun média (ou presque) ne parle. Il s’agit de la guerre d’agression menée par le Rwanda dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC).

Cette guerre atroce, barbare et inhumaine a causé dix millions de morts depuis 1996 et cinq millions de personnes déplacées. Elle a provoqué des violences inouïes envers les femmes qui ont été dévoilées dans toute leur horreur lorsque le docteur Denis Mukwege a obtenu le prix Nobel de la paix en 2018. Depuis 1998, ce médecin gynécologue dévoué à la cause des femmes violées soigne des victimes de sévices sexuels au Sud-Kivu, en République démocratique du Congo.

Malheureusement, cette guerre continue aujourd’hui sans qu’aucune sanction ne soit imposée contre le Rwanda. Lors d’une conférence de presse tenue le 4 mars à Kinshasa, le président Emmanuel Macron a été questionné sur le rôle de la France dans cette guerre.

La France récuse toute responsabilité

Un journaliste de Radio Okapi lui a demandé : « Puisque tous les rapports des experts des Nations Unies, d’Amnistie internationale et autres attestent la thèse d’une agression rwandaise sous couvert du Mouvement du 23 mars, également appelé M23, nous constatons que la France ne condamne pas le Rwanda. Pourquoi ne demandez-vous pas des sanctions puisque vous siégez au conseil de sécurité des Nations Unies ? Vous le faites avec agressivité contre la Russie, pourquoi cette léthargie du côté congolais? Vous sentez-vous plus coupables de la mort de 800 000 Rwandais lors du génocide plutôt que des dix millions de Congolais ? Qui plus est, vous avez donné 20 millions de dollars au Rwanda, pays agresseur de la RDC. La RDC peut-elle encore considérer la France comme un pays ami ? »

En réponse, Emmanuel Macron a récusé toute responsabilité qui pourrait être assignée à la France. « Je suis pour la vérité, mais je ne suis pas prêt à prendre tous les fardeaux, a-t-il dit. Depuis 1994, plusieurs pays de la sous-région, il n’y en a pas qu’un, sont entrés dans votre pays et plusieurs groupes rebelles y ont prospéré captant beaucoup de richesses minières qui devraient revenir à la RDC. Or, ce n’est pas la faute de la France si la RDC n’a pas été capable de restaurer la souveraineté ni militaire, ni sécuritaire, ni administrative. Il ne faut pas chercher des coupables à l’extérieur. Il faut instaurer la justice pour que les criminels soient jugés. N’accusez pas la France pour quelque chose qui dépend de vous. Bâtissez une armée solide, construisez la sécurité et le retour de l’État partout sur le territoire. Soyez intraitables avec vos voisins quand ils viennent vous piller et nous serons à vos côtés. »

Cette déclaration a fait bondir un député français au parlement de l’Union européenne qui a chargé Macron dans l’activisme criminel de Paul Kagame en RDC. Thierry Mariani a décrié haut et fort dans son intervention devant le parlement européen la déstabilisation de l’est de la RDC par le Rwanda à travers les terroristes du M23. D’après lui, la France et l’Union européenne ont régulièrement cédé à la propagande du président du Rwanda, Paul Kagame.

« Il n’est donc pas étonnant que ce dernier se sente aujourd’hui tout permis. Il l’a prouvé en continuant à armer une milice qui terrorise la région du Kivu, le M23. Tout le monde est désormais convaincu de l’ingérence militaire du Rwanda dans les affaires de la République démocratique du Congo », a-t-il déclaré.

Le point de vue de syndicalistes congolais

Les déclarations du président français ont aussi choqué de nombreux Congolais. Le coordonnateur national de la Fédération nationale des enseignants du Congo responsable de la recherche et développement, Jacques Taty Mwakupemba, dénonce ces propos concernant l’armée congolaise. « Les Nations Unies ont voté un embargo interdisant à la RDC d’acheter des armes pour son armée au début des années 2000. À quoi sert une armée sans matériels, sans armes et mal équipée ? »

Cet embargo a finalement été levé le 20 décembre 2022. Du même souffle, les Nations Unies ont renouvelé le mandat de la Mission de l'Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO), qui est présente en RDC depuis 2010, date à laquelle elle a pris la relève de la MONUC.

Toutefois, malgré plusieurs résolutions des Nations Unies pour faire observer des cessez-le-feu, pour garantir la paix et la circulation des citoyens, malgré la présence des Casques bleus depuis plus de 25 ans, la guerre et les violations des droits humains continuent, la liberté de circulation n'existe qu'autour de quelques villes ou centres urbains. « Alors à quoi sert la MONUSCO ? Certaines villes sont tombées entre les mains de la rébellion alors que la MONUSCO était présente. Elle a laissé l'armée des rebelles prendre des villes », dénonce Jacques Taty Mwakupemba.

Dans un reportage diffusé sur France 24, l’adjudant-chef des Forces armées de la RDC, Sangwa Muganza, affirme que les rebelles du M23 disposent d’armes lourdes, de mortiers et de mitrailleuses. Depuis la résurgence du M23 fin novembre 2022, l’armée congolaise s’étonne de voir les rebelles aussi bien équipés. Ce groupe rebelle avait pourtant été défait en 2013, puis démobilisé. Pour les FRDC, pas de doute, le M23 bénéficie du soutien du Rwanda.

« Dans leur dernier rapport publié en juin, les experts de l’ONU ont confirmé la présence de militaires rwandais dans des camps du M23 en RDC, évoquant des images aériennes et des preuves photographiques », affirme le reportage de France 24.

Les régions de l'est de la RDC sont riches en matière précieuse, or, coltan, tantale, étain, etc. Ces richesses sont pillées par le Rwanda et certaines multinationales avec la complicité des autorités congolaises pour exploiter les minerais. La preuve en est que « le Rwanda qui ne possède pas une seule mine de coltan ou de tantale est devenu, en quelques années, respectivement le 1er et le 3e exportateur mondial de ces minerais du sang. Un tiers du coltan mondial passe ainsi par le Rwanda et échappe à la RDC ! », selon un reportage de Radio France du 11 août 2022.

Pendant ce temps, le président Emmanuel Macron continue à entretenir d’excellentes relations avec le président Paul Kagame, allant jusqu’à faire réélire l’ex-ministre des Affaires étrangères du Rwanda, Louise Mushikiwabo, comme secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie, et ce, même si le Rwanda a adopté l’anglais comme langue nationale en 2003 et a donné au français une place moins importante dans l'enseignement. Mme Mushikiwabo a été élue une première fois en 2018 et réélue en 2022 pour un mandat de quatre ans.