L’ambassadeur américain raconte son intervention pendant le référendum

 


Dans un livre récemment paru



Toutes celles et ceux qui croient que le gouvernement américain va se montrer sympathique à l’indépendance du Québec et respecter la volonté de la population advenant un Oui majoritaire lors d’un prochain référendum devraient s’empresser de lire «Behind The Embassy Door; Canada, Clinton and Quebec», les mémoires de l’ex-ambassadeur américain James J. Blanchard.

Ancien gouverneur de l’État du Michigan, politicien averti, un proche du président Bill Clinton, James Blanchard était l’ambassadeur des États-Unis au Canada lors du dernier référendum de 1995. Dans ses mémoires qui viennent d’être publiés et dont on a abondamment parlé au Canada anglais mais, curieusement, pratiquement pas au Québec, il raconte comment il est intervenu activement en faveur du camp du Non, au point de s’attribuer une partie des mérites de la victoire.

Une rencontre avec Parizeau

Dès son arrivée en 1993, Blanchard s’est préoccupé de la question du Québec. Lors de son premier voyage au Québec, il rencontre, en privé, Jacques Parizeau et Lisette Lapointe. À un Parizeau, alors chef de l’opposition, qui parle de l’adhésion automatique d’un Québec indépendant à l’ALENA, Blanchard y va d’une douche d’eau froide. «L’accord ne prévoit pas cela, dit-il, et je ne peux certainement pas imaginer Washington acquiescer si Ottawa ne le veut pas».

«Même si les États-Unis se montraient raisonnables et amicaux à l’endroit d’un Québec indépendant, ils exigeraient de renégocier l’entrée du Québec dans l’ALENA, y incluant, je suppose, l’élimination des mesures protectionnistes du Québec concernant le lait et la volaille, ainsi que de ses lois linguistiques. (p. 77-78).

Un soutien plus clair à l’unité canadienne

Si, lors de l’élection fédérale de 1993 qui voit la victoire des libéraux de Jean Chrétien, le gouvernement américain est surtout préoccupé par l’avenir de l’Accord de libre-échange, l’ambassadeur Blanchard, lui, s’inquiète de la montée du Bloc québécois qui devient alors l’Opposition officielle.

La visite officielle de Clinton au Canada en février 1995 est la première occasion d’apporter un soutien plus clair à l’unité canadienne. Blanchard raconte dans le détail ses discussions avec Clinton qui devaient l’amener à déclarer dans son discours devant la Chambre des communes0 «Dans un monde assombri par les conflits ethniques qui disloquent littéralement les nations, le Canada est pour nous tous un modèle de la façon dont des peuples de différentes cultures peuvent vivre et travailler ensemble dans la paix, la prospérité et le respect» (p. 211).

Il décrit également l’accueil glacial que Clinton a réservé à Bouchard lors de sa rencontre avec le chef de l’Opposition officielle. Après avoir écouté Bouchard expliqué les buts du mouvement souverainiste agrémentés de profession de foi pro-américaines et libre-échangistes, Clinton ne posa qu’une seule question0 «Combien y a-t-il d’habitants au Québec?» Ce fut tout!

La campagne référendaire

Au cours de la campagne référendaire, Blanchard est très actif. Il est en contact régulier avec Eddie Goldenberg du bureau du premier ministre, John Rae de Power Corporation, agent de liaison pour la campagne du Non, le sondeur Maurice Pinard, des journalistes et, bien entendu, les consuls de Québec et Montréal.

Il fait un voyage à Washington pour s’assurer que personne au Congrès ne ferait de déclarations qui pourraient apporter de l’eau au moulin du camp du Oui. Il eût également une rencontre avec l’équipe éditoriale du Washington Post. Il raconte que la plupart des gens recontrés étaient surpris que le Canada autorise la tenue d’un tel référendum!

Il s’assure que le bureau du premier ministre Chrétien et les médias du Québec prennent connaissance d’une étude de Chip Roh du Center for Strategic International Studies qui réfute les arguments des souverainistes selon lesquels un Québec indépendant pourrait adhérer automatiquement à l’ALENA.

Deux semaines avant le référendum, il fait en sorte que le Secrétaire d’État Warren Christopher soit interrogé sur le Québec et puisse réaffirmer la position américaine en faveur de l’unité canadienne. À cette occasion, rappelle Blanchard, le ministre Bernard Landry protesta par voie d’une lettre officielle dans laquelle, après avoir rappelé que c’est le Québec qui avait permis la réalisation de l’ALENA, il mettait en garde le gouvernement américain contre une intervention dans la campagne référendaire. Blanchard trouva cette intervention tout à fait impertinente et donna instruction au Canada Desk du Département d’État d’ignorer la lettre de Landry.

La pression monte

À mesure que les sondages tombent démontrant que la lutte serait plus chaude que prévue, Blanchard voit la nécessité que le président Clinton intervienne. Il organise alors une rencontre entre Clinton et Chrétien lors d’une réception à l’ONU. Le président et Hillary, affirme Blanchard, se montrèrent inquiets de la tournure des événements et voulurent prêter assistance.

«Il faut, conseille Blanchard au président, quelque chose de fort, de puissant, mais de positif. Sinon, ça pourrait se retourner contre nous. Il ne faut pas que ça puisse être interprété comme une menace» (p. 243).

Après la déclaration de Chirac affirmant qu’il reconnaîtrait un Québec indépendant et un article en première page du Washington Post disant que le Oui pourrait l’emporter, on est, selon Blanchard, nerveux et préoccupé à Washington. Par ailleurs, Blanchard se montre étonné du calme qui prévaut à Ottawa. «Le gouvernement américain, écrit-il dans son journal à quelques jours du référendum, aborde le défi du référendum avec un plus grand sens de l’urgence que les bureaucrates d’Ottawa».

À Washington, on voit la nécessité d’une nouvelle déclaration présidentielle. On s’arrange pour qu’un journaliste du Globe and Mail pose une question au président Clinton à sa conférence de presse lui donnant l’occasion de réaffirmer avec encore plus de vigueur son appui indéfectible à l’unité canadienne.

Les derniers jours

Quelques jours avant le scrutin, Blanchard est de plus en plus nerveux. Il est en contact régulier avec l’équipe du Non. Il raconte que, lors du rallye d’amour du 27 octobre des Canadiens au centre-ville de Montréal, le Premier ministre Chrétien s’est entretenu avec lui au téléphone quelques minutes à peine avant son intervention .

Le soir du référendum, l’anxiété est palpable. Les multiples revirements du vote empêchent Blanchard de digérer son repas. Finalement, une fois la victoire du Non acquise, il débouche une bouteille de champagne et lève son verre au Canada!www

«Le plus meilleur ambassadeur» - Jean Chrétien

Immédiatement après le référendum, Blanchard conseille fortement à Jean Chrétien de prendre l’offensive. On retrouve dans les derniers chapitres de son livre, des commentaires qui s’apparentent étrangement à la stratégie fédérale du Plan «B».

Ainsi, Blanchard répète que plusieurs pays se sont montrés surpris que le Canada ait même permis la tenue d’un référendum y voyant un dangereux précédent. Blanchard inclut les États-Unis au nombre de ces pays. «Les États-Unis, en particulier, ne veulent pas que le tribalisme ethnique, dont on voit les effets désastreux un peu partout, prenne racines en Amérique du Nord sous la forme d’un Québec séparé» écrit-il (p. 266). Il songe sans doute à l’effet qu’aurait un Québec indépendant sur les mouvements d’émancipation des Noirs et des Latinos aux Etats-Unis.

Blanchard se prononce également en faveur de la partition. Il écrit à côté d’une carte du Québec illustrant la répartition du vote0 «Je pensais aussi que les parties du Québec, y incluant Montréal, la Vallée de l’Outaouais, les Cantons de l’Est et les territoires autochotones du Nord, devraient demeurer au Canada, étant donné qu’elles ont voté Non au référendum et ne partagent pas la vision séparatiste» (p.266).

On comprend facilement pourquoi, lors de la fête organisée par le gouvernement canadien à l’occasion de la fin de son mandat, le Premier ministre Jean Chrétien déclara en portant un toast0 «James Blanchard a été le meilleur ambassadeur que les États-Unis n’ont jamais envoyé au Canada. Il est un bon diplomate et un bon politicien». (p. 275). C’était, en effet, le «plus meilleur ambassadeur»!

En cas de victoire du Oui Manning était prêt à négocier

L’ambassadeur Blanchard révèle que Preston Manning croyait en une victoire du Oui et avait élaboré un scénario en conséquence. Manning préparait une déclaration sur la nécessité du partage de la dette accompagné d’une proposition d’un panel international pour en discuter qui réunirait les États-Unis, le Royaume-Uni, le Japon, le Canada et le Québec. Manning lui a téléphoné pour évoquer la possibilité d’une déclaration éventuelle des États-Unis en vue de soutenir la stabilité des marchés internationaux.