Place aux hommes!

 


6 décembre 1998



Le 10 décembre marque le cinquantième anniversaire de La Déclaration universelle des droits de L’Homme (sic), proclamée plus de deux cents ans après celle de la Révolution Française qui ne reconnaissait pas l’égalité aux femmes et guillotinait Olympe de Gouges, coupable d’avoir voulu remédier à cette injustice en publiant une «Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne». «L’Homme» ne badine pas avec les droits, c’est connu. Depuis ce jour et neuf ans après le massacre de quatorze jeunes femmes à l’École Polytechnique de Montréal, pourquoi n’avons-nous toujours pas réussi à éliminer les causes de la violence envers les femmes?

Au moment où j’écris ces lignes, deux femmes et leurs enfants ont subi chacune, à Montréal, la violence meurtrière de l’homme de leur vie. Selon le «Collectif masculin contre le sexisme», animé inlassablement par Martin Dufresne, 501 femmes et leurs enfants ont été assassinés au Québec par des hommes depuis le 6 décembre 1989. Dufresne a du pain sur la planche parce que, depuis ce jour à jamais mémorable, l’ampleur et les causes de cette violence continuent à être occultées, comme on l’a vu lors de la publication de l’enquête de Statistique Canada, en 1993. On se souviendra de l’état de choc et de l’incrédulité qui suivirent en apprenant que, depuis l’âge de seize ans, une Canadienne sur deux est victime de violence et que la moitié d’entre elles connaissent leur agresseur. La valeur irréprochable de la méthodologie était pourtant reconnue internationalement, les faits retenus - il n’est pas inutile de le rappeler - étant tous passibles de poursuites judiciaires, donc physiquement violents, et non des agressions verbales ou de simples fantasmes des victimes, comme on a tenté de le faire croire.

Ouvrir les yeux

Le 7 octobre dernier, le gouvernement du Québec lançait une campagne de sensibilisation à la violence faite aux femmes, sous le thème «La violence, c’est pas toujours frappant mais ça fait toujours mal», s’adressant en particulier aux jeunes adolescentes et adolescents. Il s’agit d’une collaboration sans précédent de plusieurs ministères gouvernementaux et des groupes communautaires, mettant à contribution des groupes de jeunes artistes comme La Gamic, auteurs de la chanson, ainsi que Lili Fatale et Bran Van 3000 où chacun livre sa propre interprétation de la violence sexiste. Au même moment, l’Organisation nationale des femmes (NOW) aux États-Unis mène campagne pour l’adoption d’une loi contre la violence envers les femmes (Violence Against Women Act -VAWA). Outre cette loi, les groupes de femmes demandent à l’État des mesures éducationelles, la formation d’intervenants et des programmes de recherche accrus.

Suite à ce nouveau fémicide, Allan G. Johnson, s’interroge dans son article (1) sur la déclaration de Bill Clinton qui veut savoir «s’il y a un dénominateur commun qui permettrait d’expliquer semblables violences.»

Pour Johnson, ce dénominateur commun, simple et incontournable, est le fait que les auteurs d’actes de violence sont des hommes dans la vaste majorité des cas (98%). Et il note qu’en dépit d’une telle évidence, ces derniers répliquent immanquablement que les femmes peuvent aussi être violentes, que tous les hommes ne sont pas violents ou ils choisissent l’exagération en disant que, bien sûr, tous les hommes sont mauvais! Autre façon de chercher à se disculper alors que, même si tous les hommes ne sont pas violents, le système patriarcal fait que tous profitent de salaires plus élevés, de meilleurs postes, de moins de travaux domestiques, d’un plus grand contrôle sur tout ce qui existe et d’une division sexuelle («naturelle») du travail qui justifie non seulement l’inégalité mais l’application de la loi du plus fort pour régir les femmes et les enfants qu’ils considèrent comme leur propriété. Johnson reconnaît qu’au départ filles et garçons naissent innocents et non-violents mais il n’en demeure pas moins que même si l’incidence majeure de la violence masculine est prouvée universellement, elle n’est toujours pas reconnue et assumée par la majorité des hommes qui continuent à montrer du doigt ce qu’ils appellent des exceptions pathologiques, de Hitler à Marc Lépine.

Le dénominateur commun

Pour Allan G. Johnson, le dénominateur commun est le caractère intrinséquement masculin d’une violence qui a pour cause et pour but le contrôle des femmes. Nous vivons dans une culture qui glorifie le contrôle comme réponse à tous les problèmes. Les héros sont ceux qui montrent qu’il ont le contrôle, que ce soit de la rondelle de hockey, d’une mitraillette ou d’une corporation transnationale. Peu importe ce qu’ils contrôlent, l’essentiel est d’avoir le contrôle, partout et en tout temps. La rage face à la perte de ce contrôle est la principale cause de la violence envers les femmes. «Personne ne me laissera tomber», aurait dit un des tueurs de Jonesboro qu’une des jeunes filles avait repoussé. Dès leur plus tendre enfance, la socialisation des garçons et leur reconnaissance sociale sont conditionnées par leur capacité d’exercer le contrôle, plus particulièrement sur les femmes. S’ils refusent de se plier à cet impératif catégorique, ils seront qualifiés d’une série de termes péjoratifs féminins et rejetés de la communauté virile.

Dans un tel contexte, mettre fin à la violence, c’est pour un homme se démarquer en dénonçant la responsabilité de l’ensemble des hommes qui cherchent toujours à faire de chaque fémicide une exception pathologique et non un fait conditionné par une société patriarcale, fondée sur l’imposition de la suprématie masculine. C’est écouter ce que les féministes ont à en dire plutôt que de les accuser d’extrémisme et de récupération. C’est refuser de réduire toutes les femmes à des objets sexuels, d’entraver leur autonomie et de nier leur apport socio-culturel. C’est n’avoir pas peur de se démarquer des autres hommes et d’encourir à son tour le ridicule et les insultes. C’est ne plus avoir recours à la force pour résoudre les conflits et affronter le rejet de ses pairs. C’est reconnaître qu’il n’y a aucune gloire à n’aimer que des femmes asservies ou à en forcer quelques-unes à devenir comme des hommes afin d’être reconnues et servir d’alibis à toutes les injustices subies par la majorité d’entre elles. C’est pour les hommes d’en parler entre eux et de refuser la complicité du silence en faisant que les Martin Dufresne ne soient plus des exceptions. Tel est le véritable courage, seul capable d’éliminer la violence, en ce siècle d’uniformité où le contrôle des plus démunies tient toujours lieu de valeur virile suprême.www

Fémicides

Aux États-Unis, le 24 mars 1998, dans une école de Jonesboro en Arkansas, deux garçons de 11 et 13 ans tuent quatre filles et leur professeure de 32 ans, en blessent neuf autres et un garçon. Comme pour Poly, les médias ont tenté de cacher sous des termes généraux comme «étudiants», «victimes», l’aspect misogyne de ce meurtre collectif sciemment dirigé contre des filles. On en a rendu responsable la violence générale dans les médias, une famille dysfonctionnelle, la vente libre des armes à feu mais non l’éducation sexiste encore à l’oeuvre, de haut en bas de la société. Comme à Poly, on s’est contenté de dénoncer les symptômes plutôt que de rechercher la cause principale d’une telle violence.

Aucun pays n’a le monopole de la violence à l’égard des femmes, elle est universelle et multiformes0 agressions sexuelles, conjointes battues et tuées, mutilations génitales, lapidations pour adultères, viols de masse en temps de guerre, attentats envers les lesbiennes, sévices banalisés par la pornographie, avortement des foetus de sexe féminin, infanticide des petites filles, tourisme sexuel, traite internationale des femmes et des enfants atteignant en cette fin de millénaire une ampleur sans précédent.

Aux États-Unis, la National Abortion Federation (NAF), après l’assassinat récent du Dr Barnett Slepian par un tueur pro-vie (cherchez l’erreur), évalue en 15 ans à 28,393 les actes de violence et d’intimidation contre les cliniques d’avortement, dont 7 meurtres, 39 attentats à la bombe, 154 incendies, etc. Faut-il rappeler que des centaines de milliers de femmes meurent encore de par le monde des suites d’un avortement clandestin? Je ne parlerai pas ici de l’extrême pauvreté à laquelle les femmes sont réduites, particulièrement les femmes autochtones, les intinérantes, les monoparentales, même si la misère constitue aussi une forme de contrôle et de violence à l’égard des femmes.

Agir maintenant

• Ne pas enseigner aux enfants que la violence est un moyen pour résoudre les problèmes.

• Ne pas éduquer les filles à être passives.

• Savoir que NON, C’EST NON!

• Donner son appui et contribuer financièrement aux Maisons d’Hébergement pour femmes battues et aux Centres d’aide pour les agressions à caractère sexuel (CALACS). Voir les adresses dans L’Agenda des femmes (éditions remue-ménage).

• Apprendre aux fillettes à identifier la violence sexuelle dans leurs vies.

• Exiger une législation plus sévère pour les actes de violence envers les femmes.

• Lutter pour l’équité salariale et la parité politique entre les hommes et les femmes.

• Reconnaître le statut de régugiées aux femmes demandant asile pour violence ou discrimination en raison de leur sexe et juger pour crimes contre l’humanité les auteurs de viols de masse lors des guerres.

• Promouvoir à l’école et dans la communauté des cours d’autodéfense pour les filles et les femmes.

• Refuser la banalisation médiatique de la violence envers les femmes.

• Boycotter les compagnies qui utilisent le corps des femmes pour leur publicité, les spectacles, les postes de télé et de radio qui ont un discours sexiste, les librairies ou magasins de location de vidéos qui ont du matériel pornographique.

• Faire que la lutte contre la violence envers les femmes devienne une priorité pour tous les groupes de pression.

• Garder vivante la mémoire de toutes celles qui ont perdu la vie à cause de la violence systémique envers les femmes.

• Inciter les hommes à reconnaître publiquement que la violence envers les femmes est LEUR problème et que c’est à eux de s’organiser pour y mettre fin.

Parmi les nombreux témoignages contre la violence envers les femmes, il faut voir le beau film «A Marker for Change» (À l'aube du changement) sur la mobilisation d'un groupe de femmes canadiennes, durant sept ans, afin d'obtenir le plus grand nombre d'appuis et les ressources nécessaires pour l'édification à Vancouver d'un monument à la mémoire des quatorze femmes abattues par Marc Lépine. Le film montre aussi leur résistance aux pressions et menaces visant à leur faire omettre l'inscription «à toutes les femmes tuées par des hommes de par le monde», jugée discriminatoire à l'endroit de ces derniers. Dans le même ordre d'idées, mon attention a été attirée par une rare et intéressante intervention masculine, lors du massacre de Jonesboro

Illustration bougie et rose, voir0 http0//women.ca/violence/candle.html

1. Allan G. Johnson, The Common Element0 http0//www.feminista.com. Il est aussi l'auteur de0 The Gender Knot0 Unraveling Our Patriarchal Legacy, Temple University Press, 1997 et son adresse internet est0 http0//mail.harford.edu/genderknot.