Un pont en or massif pour l’entreprise privée

 


Le pont de la Confédération



Aux prises avec leurs compressions budgétaires, en mal de liquidité pour financer des travaux publics «structurants», tels autoroutes, ponts, etc., les gouvernements font de plus en plus appel au secteur privé pour leur venir en aide, en faisant croire au public payeur de taxes que ces ouvrages lui coûtent ainsi moins cher. L’évocation de la possibilité de ce type de partenariat dans le projet de prolongement de l’autoroute 30, qui requerra la construction d’un pont de près de 200 millions $, bâti et ensuite opéré par l’entreprise privée, selon «une formule analogue à celle du pont de la Confédération, entre le Nouveau-Brunswick et l’Île du Prince-Édouard», mérite que l’on regarde d’un peu plus près le coût réel de celui-ci.

Prouesse architecturale de 13 KM de long franchissant le détroit de Northumberland, le pont de la Confédération fut inauguré en grande pompe à la veille du dernier scrutin fédéral, le 31 mai 1997. Les éloges sous lesquelles on l’a presque fait crouler lors de son ouverture officielle (plus long de son type au monde, courbé afin d’éviter la somnolence des conducteurs, etc.) occultaient soigneusement l’aspect financier de sa réalisation. Et pour une bonne raison0 l’entreprise de Calgary, Straight Crossing Development Inc., maître d’œuvre du projet, prétendait -et continue de le faire- que le coût total du pont ne regarde pas la population. Si sur le site Web du «bridge-pont», se trouvent toutes sortes de «faits fascinants», tels on y retrouve 310 lampadaires et un téléphone de secours tous les 750 mètres, il n’y a absolument rien ni sur son coût, ni sur son financement, ni sur ses revenus appréhendés.

Tout ce que l’on sait, c’est que lorsque le projet du pont fut lancé, en 1993, l’ouvrage était évalué à 840 millions $. D’autre part, le contrat entre le gouvernement fédéral et la Straight Crossing Development Inc. prévoit qu’Ottawa paiera à l’entreprise une sorte d’hypothèque annuelle de 42 millions $ pendant 35 ans, soit un milliard 470 millions $ au total, tandis que l’entreprise «réalisera ses profits» grâce à la perception des péages. L’aller-retour coûte 202$ pour les autobus, etc., et ces tarifs peuvent augmenter annuellement jusqu’aux trois-quarts du taux d’inflation officiel. C’est d’ailleurs ce qu’ils ont fait depuis l’an dernier...

Si l’on tient compte qu’il y a sur le pont de la Confédération un achalandage d’un million et quart de véhicules (selon l’Office d’Information touristique, car la compagnie «ne dévoile pas ce genre d’informations» (me fut-il assez sèchement répondu lorsque je tentai de le savoir auprès d’elle), et que cet achalandage est en hausse, vu que le pont facilite la traversée du détroit, on conçoit que Straight Crossing development Inc. aura peu de mal à payer ses factures et réalisera jusqu’en 2022 des bénéfices colossaux qui ne seront jamais connus du public payeur, ni des contribuables.

Vu que ces profits demeureront inconnus, personne ne se plaindra du coût pharamineux de cet ouvrage, et l’on continuera à répandre le poncif tout à fait faux en l’occurrence, que «le privé fait mieux à moindre coût». Mieux pour qui, en fin de compte? pour la construction et l’opération de ce pont évalué en 1993 à 840 millions $, la Straght Crossing Development Inc. Empochera en 35 ans de quatre à cinq fois ce montant, en dollars constants, peut-être plus0 tout dépend du taux de croissance du trafic.

De quoi donner le goût à d’autres entreprises privées de se lancer en partenariat avec un gouvernement (comme celui du Québec), pour construire un autre pont (comme celui de Chateauguay)...