Sur la naissance du premier Front commun

 


Marcel Pepin raconte



MP 0 « Quand on mettra le Front commun au monde, Roch Bolduc (le principal négociateur pour le gouvernement) me dira 0 « T’es fou ! Penses-tu que ça va tenir ? Tu feras jamais rien avec ça ! C’est bien trop hétéroclite ! » J’ai dit 0 « Ben coudon, on va l’essayer, on verra ! » Puis je me souviens des déclarations publiques de Roch 0 « La folie de Marcel Pepin ! » Pour lui, c’était ça, le Front commun !

(...)

On s’entend d’abord entre nous autres à la CSN. Puis on va voir la FTQ. C’est assez facile avec eux parce que la FTQ représente peu de monde dans les mêmes catégories que nous 0 les employés généraux d’hôpitaux, de commissions scolaires...

Avec la CEQ, ça été plus corsé parce que c’est beaucoup plus corporatiste qu’on peut l’imaginer. Je leur ai dit 0 « Êtes-vous, ou non, une centrale ? Si vous voulez qu’on vous considère comme une centrale, il va falloir qu’on se batte comme une centrale, il va falloir qu’on se batte tout le monde ensemble. » Pour y arriver, la CEQ a été obligée de changer ses demandes salariales, parce que l’échelle des salaires qu’elle réclamait commençait en bas de 100 piastres par semaine ! Puis nous autres, on demandait que le minimum soit de 100 piastres par semaine.

Pour 12 ans de scolarité, première année d’enseignement, la CEQ demandait, il me semble, 4800 $ par an, ou quelque chose de même ! J’ai dit 0 « Quel sérieux ça va avoir ? Nous, on demande 100 piastres par semaine, 5200 piastres par année, pour la « pousseuse de moppes », comme on l’appelle de manière un peu triviale, et puis vous autres, les enseignants, 12 ans de scolarité, vous demandez 4800 ! Changez votre échelle ! »

Ils ont accepté de changer, de commencer plus haut puis de finir un peu plus bas. (pp. 249-250)

Sur la grève dans le secteur public

MP 0 Si, dans le transport en commun ou dans le secteur hospitalier, on ne peut pas exercer le rapport de force, donc faire la grève, ça veut dire qu’on ne peut pas négocier. La grève, c’est une manche dans la négociation. Si l’employeur sait, à l’avance, que je ne ferai pas de grève, en quoi pourrai-je améliorer mon sort ? Je demande 5% d’augmentation, il va me dire que 2%, j’en ai assez ! Et comme je ne peux pas faire la grève, je vais accepter les conditions minimales qu’il va m’offrir. (p. 117)

Sur l’action politique

MP 0 Mon action syndicale, comme secrétaire général, et de façon plus marquée comme président, ne s’est pas limitée à la défense des intérêts de l’organisation que je représente. Je me dis 0 « On a un rôle dans la société, un rôle social. On est peut-être des chiens de garde, mais on est aussi des gens qui doivent aller de l’avant. ( ...) Il est clair que je voulais engager le vrai combat 0 la guerre à la pauvreté. Je le dis dans ma première intervention. C’est pour ça que je réclame des augmentations du salaire minimum 0 je ne pense pas seulement à mes membres, je pense à l’ensemble de la société. (p. 282)

Sur le leadership

MP 0 Je crois que je peux me définir comme un leader qui était un peu en avant de ses membres. Mais c’est dangereux. À un congrès ou à un conseil confédéral, tu te fais dire 0 « Aie, aie ! le monde n’est pas prêt à faire ça, il n’est pas prêt ! » Ils ne seront jamais prêts, si tu ne les aides pas à devenir prêts. (p. 284)

Son plus grand regret

« Mon plus grand regret, c’est de ne pas en avoir fait plus, surtout pour notre classe. On a beau dire qu’on n’est pas une classe, on est une classe. Il y a des classes dans la société. (p. 287)

Sur ses rapports moraux

MP 0 Au congrès de 1966, j’ai publié Une société bâtie pour l’homme, qui, généralement, a été bien accueilli, même par mes opposants éventuels, parce que ce n’était pas un document tellement dangereux. Il y avait des mesures concrètes, par exemple le partage des bénéfices, mais c’était surtout une conception de la société sans trop de remèdes.

Quand arrivera, en 1968, mon second rapport moral, Le deuxième front, je commencerai à avoir plus de misère. Parce qu’ils vont me dire 0 « Ça n’a pas de bons sens d’être révolutionnaire de même ! » (p. 262)