Toute une région menacée

 


Fermeture de Gaspésia



Le 12 janvier dernier, environ 1500 personnes ont manifesté dans les rues de Chandler pour protester contre la menace de fermeture partielle ou totale de l’usine Gaspésia. «Avec l’arrêt d’une machine à papier sur deux, c’est aussi la moitié des emplois directs qui se perdent, sans compter l’impact sur toute la région», déclare Denis Luce, président de la section locale 858 (SCEP-FTQ) de l’usine Gaspésia, rencontré le 20 janvier dernier.

AJ 0 Pourquoi la firme Abitibi-Consolidated prévoit-elle fermer une des deux machines à papier?

DL 0 L’objectif premier d’Abitibi-Consol est d’enlever 300 000 tonnes de papier journal sur le marché mondial pour en faire monter le prix. Avec la fermeture d’une des machines, la production baisserait de 100 000 tonnes par année. Tout ce qu’elle veut, c’est simplement réduire le tonnage sur le marché quitte à fermer totalement l’usine tout en refusant de la vendre. Garder le contrôle du marché sans autres compétiteurs est leur seul but.

AJ 0 Quel est l’impact de cette décision sur la région?

DL 0 Son impact est catastrophique. Notre MRC compte 36% de chômage, dont 45% chez les jeunes, un record au Québec. La Gaspésie vivait du bois et de la pêche, il ne reste presque plus rien de ces industries. À Chandler, il n’y a pas d’autres usines de cette importance et, si elle ferme, toute activité économique disparaîtra.

Imaginez, la perte de 200 emplois dans notre municipalité équivaut à une saignée de 20 000 jobs à Montréal. C’est pour cette raison que toute la région se mobilise et qu’elle a organisé la marche dans les rues de la ville le 12 janvier dernier. Les bureaux, les écoles, les commerces et les autres institutions ont tous fermé leurs portes pendant la durée de la protestation.

AJ 0 Que fait le gouvernement face à cette situation ?

DL 0 Le gouvernement s’oppose lui aussi à la fermeture d’une des deux machines, car cela provoquerait un manque à gagner de 60 millions dans notre MRC. Juste en impôts, cela équivaudrait à une perte de 15 à 16 millions.

On sait que le premier ministre Bouchard va rencontrer les dirigeants de la compagnie et qu’il endosse nos revendications. Apparemment, il regardera tous les scénarios pour y parvenir, mais nous n’avons pas jusqu’à présent d’autres éléments.

AJ 0 Quelles sont les chances de conserver les deux machines opérationnelles ?

DL 0 Le groupe Cédrico, qui appartient à Gilles Bérubé, propriétaire de six scieries en Gaspésie, a signé une entente de principe avec Abitibi-Consol ; il deviendrait le propriétaire majoritaire de l’usine avec 60% des actions à condition qu’il injecte plus de 100 millions $. Cette entente est conditionnelle à l’accord du gouvernement québécois pour le transfert du CAAF (Contrat d’approvisionnement et d’aménagement forestier) de 378 000 mètres cubes.

Le gouvernement pourrait refuser ce transfert et faire des pressions pour que les deux machines restent en opération. Mais on ne sait pas jusqu’où le gouvernement est prêt à pousser la compagnie. Une autre possibilité serait le rachat de l’entreprise. Selon nous, il doit y avoir quelque part des acheteurs intéressés.

AJ0 Quelles sont les causes profondes de cette situation?

DL0 Abitibi-Consol, dont le siège social est à Montréal, est une compagnie canadienne qui, malheureusement, a une vision beaucoup plus mondiale que nationale. Son objectif est de posséder le plus possible de parts de marché. Nous travaillons dans cette usine de père en fils, c’est nos capitaux qui sont dans cette compagnie, mais ils préfèrent les investir à l’extérieur plutôt qu’ici. C’est toute une région qui en train de mourir à cause d’une multinationale.