L'AMI refait surface

 


Après une période de sommeil apparenta0



Certains avaient enterré l'AMI (Accord multilatéral sur l'investissement). Nous avions prédit1 que le projet resurgirait à un moment ou à un autre étant l'aboutissement d'un long processus amorcé en 1944 et auquel les investisseurs majeurs et les multinationales ne sauraient renoncer aussi facilement. La question était de savoir0 quand et sous quelle forme? Les réponses commencent à arriver.

Rappelons d'abord brièvement que l'AMI visait à permettre une libéralisation totale des investissements et une protection intégrale des investisseurs, la menace que cela représentait pour la souveraineté des États avait amené la France à se retirer des négociations en octobre dernier faisant ainsi capoter tout le processus. Il avait été alors question de transférer ces négociations au sein de l'OMC (Organisation mondiale du commerce). Les États-Unis auraient préféré conclure cet accord à l'OCDE, qui réunit les 19 pays les plus riches du monde, quitte à l'étendre ensuite aux 135 pays qui forment l'OMC où l'on retrouve des pays en voie de développement réfractaires à cet accord. La nouvelle stratégie vise à inclure ces discussions dans un vaste pot-pourri0 le cycle de négociation du millénaire (Millennium Round) où se retrouveraient pêle-mêle des sujets comme l'agriculture, les services, la propriété intellectuelle, la concurrence etc. L'annonce officielle devrait en être faite à la fin de l'année.

Les promoteurs selon le National Post

Un article du National Post, signé Neville Nankivell, journaliste et ex-rédacteur en chef du Financial Post très révélateur sur ceux qui propulsent cette idée et sur les objectifs qu'ils poursuivent. Selon l'auteur de cet article c'est le président Bill Clinton lui-même qui fut le dernier en date à intervenir pour qu'ait lieu un accelerated millennium round.

Le second personnage cité est la représentante du gouvernement américain pour le commerce Charlen Barshefsky chargée de convaincre le Sénat du bien fondé de ce projet. Mais, le personnage clé de toute l'affaire est le vice-président de la Commission européenne le Britannique Léon Brittan (ex-ministre de Margaret Thatcher) qui s'était déjà illustré par son implication dans des négociations devant mener à la création d'une zone de libre-échange États-Unis - Union Européenne, le PET (Partenariat économique Transatlantique).

Au Canada l'auteur mentionne le chef du Bureau canadien de la concurrence 0 Konrad Von Finckenstein qui trouve que ce serait une bonne idée d'utiliser l'OMC comme base de départ. Mais le personnage le plus important est de loin Tom d'Aquino patron du tout puissant Business Council on National Issues (BCNI), le Conseil canadien des hommes d'affaires, qui représente les 150 plus importantes entreprises du Canada. Cet organisme est très bien décrit dans le troisième volume que Peter C. Newman consacre au New Canadian Establishment et qu'il a intitulé TITANS2. L'auteur évalue les actifs cumulés de ces entreprises à 1,7 trillion de dollars (un chiffre avec 18 zéros) leur revenu annuel est de 500 billions et elles emploient 1,5 million d'employés. Quant à Tom d'Aquino il est décrit comme un brillant stratège et comme l'homme ayant eu la plus grande influence sur l'élaboration des politiques gouvernementales de toute l'histoire du Canada. L'article du National Post nous révèle que, dans un mémoire au premier ministre, il estime que le gouvernement canadien doit accorder une haute priorité à la conclusion d'un AMI, Canadian firms need a level playing field to expand globally dit-il. Une phrase qui ne peut être traduite sans perdre tout son sel.

Neville Nankivell termine son article en mentionnant que le gouvernement fédéral n'a pas encore pris de position ferme pour les prochaines discussions à l'OMC. Il pense que le ministre du Commerce Sergio Marchi, les membres influents du cabinet et le caucus libéral sont skittish après l'échec de l'AMI. Skittish est un terme avec plusieurs sens mais dans le cas présent le plus approprié serait probablement frileux. En plus que ce gouvernement est Committed to public consultations mais ne fait pas preuve de leadership sur la question.

Nous comprenons bien que s'il faut en plus tenir des consultations publiques c'est la fin de tout ! Le grand avantage des négociations passées sur l'AMI est de nous avoir fourni une grille de lecture nous permettant de décoder le langage ultra-libéral et de nous avoir révélé le visage de nos adversaires. Il y a du sport en perspective pour l'an 2000. À nous d'être prêts.

(1) L'aut'journal, no 175, déc-janv., 1998-99, pages 10 et 11

(2) NEWMAN, Peter C., Titans, How the New Canadien Establishment seized power, Viking, 1998.