Pour un syndicalisme combatif

 


Négociations du secteur public



Compressions dans les services de santé sur le dos du monde ordinaire, engorgement dans les urgences, épuisement du personnel hospitalier ; tout cela dans le contexte de la mise en branle d'un Front commun en vue des négociations du secteur public. Pour en discuter, l'aut' journal a rencontré, le 12 février dernier, Jocelyne Fortier, présidente des 1 700 membres du Syndicat des travailleuses et travailleurs de l'hôpital Notre-Dame (FSSS-CSN) de Montréal. Composé à 78% de travailleuses, ce syndicat est l'un des plus combatifs dans le milieu de la santé et fait face à l'une des directions les plus anti-syndicales au Québec.

AJ0 Vous et vos camarades êtes en lutte depuis quelques années pour défendre les services de santé à la population et avez été même jusqu'à la grève illégale, pourquoi?

JF0 Nous avons en effet déclenché une grève illégale de 48 heures, en décembre 1997, malgré les menaces d'emprisonnement, de perte d'ancienneté, de double pénalité de la loi 160 (perte de 2 jours de salaire par journée de grève) et de décertification de notre syndicat. On a résisté et finalement nous en sommes sorties gagnantes.

Nous avons sauvé des jobs, gagné en crédibilité face à la direction et avons réussi à faire de notre lutte une cause politique. Nous combattions pour le bien-être des patients et un sondage a montré que 75% de la population nous appuyait. Nos membres ont aussi fait l'expérience de la solidarité syndicale ; elles ont soutenu leur syndicat malgré l'application de la double pénalité. La CSN a réussi à disposer des poursuites à l'occasion d'un règlement hors cour. Nous avons mis fin au partenariat et opté pour un syndicalisme combatif. Et nous avons eu raison!

L'enjeu de la prochaine négo 0 la décentralisation

AJ0 Que pensez-vous des négociations à venir dans le secteur public?

JF0 Il faut rester extrêmement vigilants, car le gouvernement veut décentraliser la négociation sur certaines clauses des conventions collectives. C'est très dangereux, car en négociant localement on n'a plus de rapport de forces. On se retrouverait avec des clauses totalement disparates, notamment sur la sécurité d'emploi et les questions salariales. Comment alors faire pression, comment bâtir l'unité syndicale avec des revendications différentes? De plus, la négociation décentralisée, ça ouvre la porte à la privatisation pour chaque établissement.

Il faut mettre fin à la concertation patronale-syndicale, car ça fait un moment qu'on l'expérimente et cela n'a donné que des reculs. Le gouvernement nous fait subir les compressions dans la santé, ça suffit! Les centrales doivent politiser la bataille contre les coupures des services publics.

AJ0 Comment voyez-vous le Front commun cette année?

JF0 J'ai de la difficulté à y croire car il y a toujours des intérêts corporatifs et les revendications qui sont actuellement sur la table sont plus des réaménagements de conventions que de véritables revendications. Malgré tout, les centrales ne doivent laisser tomber ni leurs membres, ni la population. Pendant notre grève nous avons été capables de faire passer un message à la population qui nous a soutenus. Pourquoi les centrales ne seraient-elles pas capables d'en faire autant?

La FTQ et la CEQ se préparent pour une grève légale. Le problème avec une telle grève c'est qu'il faut se présenter devant le Conseil des services essentiels, une démarche qui est très longue et qui repousse la grève à l'automne '99.

Plus de services en temps de grève qu'en temps normal !

AJ0 Est-ce que le Conseil des services essentiels remet en question votre droit de grève?

JF0 Évidemment, car il y a plus de personnes qui travaillent en période de grève qu'en temps normal! On nous demande de fournir 90% des gens habituellement présents mais, en période de compression, il n'y a pas de remplacement de personnel et nous sommes moins nombreux qu'en période de grève. Les patients ont de meilleurs services quand le personnel est en grève! De toute façon, dès qu'une grève légale a été déclenchée en milieu hospitalier, le gouvernement émet aussitôt un décret pour forcer le retour au travail.

AJ0 Est-ce que le Québec devrait avoir un droit de grève protégé comme dans certains pays européens?

JF0 Nécessairement, ça serait bien que le Code du travail prévoit le droit de grève en tout temps, mais je reste tout de même sceptique sur la possibilité de l'obtenir. En Europe, les gens sont plus politisés qu'ici. Il faudrait que les syndicats fassent de l'éducation politique afin de combler ce manque et aboutir à une prise de conscience collective. Il reste que, pour moi, le droit de grève, ça ne se donne pas, ça se prend!