Gilles Duceppe se prononce pour une union économique et monétaire des trois Amériques

 


En clôturant le forum du Bloc québécois sur la mondialisation



Dans un discours prononcé à l'issue du forum sur la mondialisation que tenait le Bloc québécois le 15 mai à Montréal, Gilles Duceppe a décidé de modifier l'axe géographique auquel était rattaché le Québec. Nous passerions donc d'une orientation est-ouest à une orientation nord-sud et remplacerions le D'un océan à l'autre par, selon ses propres paroles, De la Terre de Baffin à la Terre de Feu . En attendant ce voyage à la Terra del Fuego nous nous sommes contentés plus prosaïquement d'assister à l'un des 7 ateliers que comportait la réunion et qui s'intitulait La monnaie dans l'intégration économique des Amériques .

Le conférencier invité était Marc Van Audenrode, directeur du département d'économie de l'Université Laval. Étaient aussi présents Richard Marceau, député du Bloc pour Charlesbourg et l'inévitable Bernard Landry.

Les taux d'intérêts de la Banque du Canada.

Pour Marc Van Andenrode l'union monétaire est la suite logique du libre-échange surtout pour le Québec dont l'économie dépend des exportations. De plus, après l'apparition de l'Euro la vie va devenir de plus en plus difficile pour les petites monnaies qui devront pour se protéger augmenter leurs taux d'intérêts. Or les taux pratiqués par la Banque du Canada sont déjà trop élevés et ont toujours été supérieur de un à deux points à ceux en vigueur aux États-Unis. Les coûts cumulés de cette politique désastreuse, qui dure depuis 30 ans, sont très lourds pour les consommateurs (emprunts, taux d'hypothèque etc.)

D'un autre côté, comme selon lui il est peu vraisemblable de croire que les États-Unis envisageraient l'idée d'une monnaie commune, la seule solution serait l'adoption du dollar américain avec la perte de souveraineté que cela impliquerait d'abord au plan du symbole que représente une monnaie nationale mais surtout de la marge de manoeuvre réduite sur les taux de change et des contraintes sur la politique budgétaire.

Il faut aussi envisager la perte du droit d'émission des billets et donc du rendement sur les titres qui est de 2 milliards de dollars par an. La possibilité de réagir aux fluctuations de l'économie qui, aux USA, peut être compensée par la migration des travailleurs serait problématique au Canada. Il s'agit donc de peser soigneusement le pour et contre dans une telle décision. Actuellement, pour Marc Van Andenrode, une union monétaire serait malgré tout désirable surtout en raison de la question des taux d'intérêts.

Québec, siège de la 14ième banque fédérale régionale américaine.

Richard Marceau, député du Bloc pour Charlebourg, ne fait pas lui, dans la dentelle. Il rappelle d'abord que le Bloc a proposé le 15 mars 1999 la création d'un comité parlementaire spécial de la Chambre des communes afin d'étudier la possibilité pour le Canada de participer à la création d'une union monétaire panaméricaine. Tout de go, il propose que la Banque du Canada devienne la 13ième banque fédérale régionale et un Québec souverain la 14ième (ce dernier échappant ainsi de justesse au chiffre fatidique 13). Que dit le Canada ? Jean Chrétien et le gouverneur de la Banque du Canada, Gordon Thiessen, sont contre quant aux Américains, le président de la Réserve fédérale Alan Greenspan et le secrétaire au Trésor, Robert Rubin, seraient disposés à discuter de dollarisation avec les leaders d'Amérique latine.

L'urgence vient du fait que précisément les pays d'Amérique latine, d'Amérique centrale et le Mexique, dont plusieurs seraient en faveur d'adopter le dollar américain comme devise nationale, pourraient coiffer le Canada et le Québec au poteau et ainsi rendre plus difficile une négociation ultérieure avec les États-Unis. Donc les souverainistes qui depuis le MSA (Mouvement Souveraineté-Association) ont toujours été à l'avant garde pour ce type de négociations doivent le demeurer. D'ailleurs, un sondage récent indiquerait que 47 % des Québécois et 57 % des souverainistes sont favorables à une communauté monétaire.

Quand Bernard Landry sauve le dollar américain

Dans ce genre d'atelier, après que l'on ait permis à quelques participants de s'exprimer, il est d'usage qu'un gros canon vienne au micro, rétablisse l'orthodoxie et rallie les indécis. Ce fut le cas ce samedi 15 mai. Pour Bernard Landry, c'est le nationalisme canadien qui, opposé au premier abord à l'Accord de libre échange avec les États-Unis, refuse maintenant d'amorcer la réflexion sur l'intégration monétaire. Ces dirigeants du Canada font passer le nationalisme et ses symboles avant les intérêt de ses citoyens dit-il. Pour lui, l'Euro c'est la culture de la Deutsche Bank, la magistrature monétaire, l'avenir de la gestion de la monnaie.

Mais, attention, l'Euro va supplanter le dollar américain (grâce aux millions d'Européens). Les États-Unis vont vouloir réagir et pour ce faire ils auront besoin de la moyenne Argentine, du grand Brésil et... du petit Québec (pas le fromage, l'autre). C'est ainsi que le Québec et son ministre des Finances pourraient sauver le dollar américain.

Un peu plus tard, lors du dîner-causerie dont il était l'orateur, Bernard Landry a repoussé un peu plus loin dans le temps les bases de ses convictions libre échangistes en citant Adam Smith et le livre que celui-ci a publié en 1776. Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations. Nul doute que la prochaine fois son texte de référence sera la Bible elle-même.

Les questions qui se posent

Il est difficile de raisonner adéquatement à partir des énoncés qui précèdent parce qu'ils s'appuient sur des données qui ne concordent pas dans le temps ; on ne peut faire coïncider dans la durée la fédération actuelle, un Québec souverain et la formation d'un grand ensemble panaméricain. Pris sous forme d'une équation à trois inconnues, plus de multiples variables, le problème est insoluble.

Il en est tout autrement si l'on aborde les problème dans un ordre chronologique prévisible. En suivant ce schéma, le premier cas de figure est une union monétaire Canada-États-Unis. Pour le moment, aucun des deux pays ne la souhaite (et nous non plus). L'argument selon lequel les petites monnaies sont plus vulnérables à la spéculation ne tient pas si la volonté politique existe de protéger sa devise et il existe actuellement de nombreux exemples de telles monnaies parfaitement stables. En fait, pour le Canada, ce serait se jeter dans la gueule du loup et sacrifier la marge d'autonomie qui peut encore rester à un pays dans le monde contemporain.

Le deuxième cas évoqué est la recherche, à terme, d'une union monétaire panaméricaine du type européen. Cette hypothèse n'est pas beaucoup plus crédible parce qu'il est impensable d'imaginer que les État-Unis abandonnent leur dollar pour adhérer à une monnaie commune. Le plus loin qu'ils puissent aller c'est de permettre à des pays de l'Amérique latine ou de l'Amérique centrale d'utiliser leur devise à condition d'être sûr que cela favorisera la stabilité économique de ces pays et donc les investissements qu'ils y ont faits. La comparaison faite avec l'Euro ne tient pas car il s'agit de deux contextes historiques et économiques complètement différents. D'abord l'Euro est l'aboutissement d'un très long processus, amorcé en 1865 avec l'Union latine et poursuivi avec de nombreuses étapes, dont les dernières ont été l'Union européenne de paiement, le Serpent monétaire et le Système monétaire européen avec la création de l'écu. Ensuite, il existe un équilibre dans le trio France, Allemagne, Grande-Bretagne qui est très loin de la situation prévalant dans les Amériques.

La troisième avenue à explorer est ce qui arriverait au lendemain d'un référendum gagnant qui ferait du Québec un pays souverain. Il faudrait d'abord déterminer la forme de partenariat qui serait négocié avec le reste du Canada. La seule certitude qui existe est que le Québec a parfaitement le droit de conserver le dollar canadien. Le scénario évoqué par monsieur Parizeau selon lequel nous pourrions adopter le dollar américain en cas de difficulté avec le Canada est dénué de tout sens. Ce serait faire d'un Québec enfin libéré un sous-État américain.

Assez curieusement après toutes ces années d'errance à travers l'étapisme, le beau risque et la souveraineté-partenariat on revient à la seule solution qui soit logique 0 l'indépendance pure et simple. Elle seule permettrait au Québec d'avoir sa banque centrale et de contrôler de sa monnaie ce qui pourra encore être contrôlé. Tout le reste est pour le moment pure spéculation intellectuelle.

Le forum du Bloc sur la mondialisation

Les bons points

1. Une excellente organisation matérielle incluant la traduction simultanée et une assistance imposante (plus de 600 personnes).

2. Un certain esprit d'ouverture qui contraste avec le dogmatisme du P.Q. et de son chef. L'avancée la plus significative est une remise en cause, encore timide, du concept de partenariat avec le reste du Canada advenant un référendum gagnant.

3. L'invitation faite à des conférenciers étrangers dont deux se sont taillés un grand succès 0

Antonio Villalba Granados. Directeur des relations. Frente Autentico des Trabajo - (Mexique).

Il était très rafraîchissant d'entendre enfin le langage de la vérité. C'est-à-dire qu'au Mexique, sur 95 millions d'habitants, il y a 40 millions de pauvres, que l'ALENA a été signé par le PRI, parti unique au pouvoir depuis 70 ans, sans aucune participation populaire à cette décision. Que le Front authentique du travail est opposé au GATT, à l'OCDE et à l'ALENA. Que ce qui importe réellement dans les traités internationaux, ce sont les clauses sociales, les droits des femmes honteusement exploitées dans les maquiladoras (zones franches), la liberté pour les indiens du Chiapas. Que la seule façon de retarder le processus d'intégration continental réside dans la création d'une alliance sociale continentale.

Et, chose curieuse, bien que ce discours ait été à l'opposé de ce qui avait été dit jusqu'alors, c'est l'orateur qui a reçu la plus longue ovation. Bravo Antonio !

Yaya Mallé. Responsable Éducation et Culture. Confédération Syndicale des travailleurs maliens (Mali).

Un savoureux discours avec cet accent africain si sympathique prononcé avec un calme à toute épreuve. Pour lui aussi, les institutions économiques internationales existent pour le bénéfice des riches. Le FMI et la Banque mondiale ont ravagé les économies africaines. L'Afrique ne participe que pour 1,8% dans les échanges internationaux. Les produits importés sont moins chers que les productions locales.

Les mauvais points

1- Un temps trop court alloué pour les interventions de la salle dans les ateliers.

2- Une mauvaise foi évidente en ce qui concerne l'ex-AMI. Cette attitude rappelle la France au lendemain de la dernière guerre où tout le monde avait été résistant de la première heure. Au PQ comme au Bloc, chacun se déclare maintenant comme ayant été un farouche adversaire du défunt Accord multilatéral sur l'investissement. Monsieur Parizeau va même jusqu'à en faire un exemple type de la dissimulation du fédéral envers les provinces !

Pourtant un rapport du MAECI (ministère des Affaires étrangères et du commerce international) en date du 9 septembre 1997 indique dans la chronologie des négociations 0

1995 Une première série de consultations à lieu avec les provinces et le secteur privé concernant la négociation éventuelle d'un accord multilatéral sur l'investissement (AMI).

La vérité est que chez les partis politiques fédéraux, seul le NPD avait rejeté l'accord et en avait perçu toute la nocivité. Le Bloc avait donc entérine le rapport du sous-comité présenté aux Communes en 1997 et endossé la position canadienne qui était de présenter quelques demandes d'exemptions. Même chose pour le gouvernement québécois alors de le projet était rejeté par la Colombie Britanique, la Saskatchewan, l'Île-du-Prince-Édouard et le territoire du Yukon.

Le Bloc québécois invente la politique fiction

Tout au long du déroulement de ce forum est apparue la conception que se fait le Bloc du monde actuel. Un monde idyllique dans lequel un Québec souverain occupe la place qui lui revient au sein des organisations internationales et y met au pas les perverses transnationales. Un monde où l'OMC (Organisation Mondiale du commerce) protège les petites nations contre les grandes. Un monde où les bons Américains protégent les gentils Québécois contre les méchants Canadiens et vont jusqu'à leur offrir l'usage de leur monnaie en prime.

Dans ce monde, un Québec très prochainement souverain offrira au Canada plusieurs formules de partenariat que ce dernier étudiera avec la plus grande bienveillance le meilleur modèle sera celui dont les partenaires conviendront à l'issue des négociations, en tenant compte des intérêts de tous. Les affirmations de ce genre pullulent dans les documents remis aux participants. Dans ce monde de rêve où le néolibéralisme ( mot tabou qui n'est jamais prononcé) n'existe pas, le Bloc québécois a eu la révélation d'une nouvelle forme de politique 0 la politique fiction.

Hélas la triste réalité est tout autre. Nul ne voit poindre à l'horizon la moindre condition gagnante . Le Canada devient de plus en plus centralisateur. Les Américains menacent de représailles du FMI (Fonds monétaire international) ceux qui utiliseraient leur monnaie sans permission. Quant aux mythiques organisations internationales, si chères à Bernard Landry, elles concoctent actuellement en grand secret un nouvel AMI encore plus pernicieux que la première version.

Mais surtout l'OMC est loin d'être l'institution de bienfaisance que voit monsieur Parizeau. Pour être fixé sur ce point, il suffit de lire le texte de la conférence prononcée au Forum international sur la globalisation à San Francisco par Martin Khor, directeur du Third World Network, en janvier 1997.

Selon monsieur Khor, lorsqu'en 1995 l'OMC a remplacé le GATT une transformation complète des accords d'origine a été opérée. Le nouvel organisme a étendu son emprise à nombre de nouveaux secteurs. Les règles y sont très contraignantes, tout au moins en ce qui concerne les petits pays. (Les États-Unis, eux, ne sont pas concernés). Les représailles y sont communes ce qui explique pourquoi monsieur Parizeau a pu dire que, des 130 pays qui font partie de l'OMC aucun n'a jamais demandé à s'en retirer 0 qui voudrait être inscrit sur la liste noire ?

L'exemple du Costa-Rica gagnant sa cause contre les États-Unis dans un problème d'importation de textile (cité par monsieur Parizeau) n'est guère concluant. Il faut bien jeter du lest de temps en temps. Nous avons au contraire pu voir les États-Unis faire récemment la guerre à l'Europe sur les importations de bananes des Caraïbes au mépris des accords de Lomé, sans oublier l'actuel conflit sur le boeuf aux hormones. Le blocus de Cuba est-il conforme aux règles de l'OMC ?

Mesdames et Messieurs du Bloc, de grâce, revenez sur terre. Vous avez ouverts des chantiers de réflexion, cela est très bien. Souffrez que ceux qui veulent y travailler puissent y apporter le dur éclairage de la réalité d'un monde sans pitié.