Guerre, paix ... et sexe des anges

 

Guerre et paix, c'est la dichotomie fondamentale, l'axe autour duquel a tourné l'histoire de l'humanité. Mais, sans doute parce que les baby-boomers des pays occidentaux forment la première génération qui n'a pas connu la guerre et que ce sont eux qui définissent l'opinion publique, notre société aborde avec beaucoup de légèreté, voire d'insouciance, la guerre du Kosovo.

Il est ahurissant de constater qu'il n'y a à peu près pas de débat sur ce conflit dans les pages de nos journaux. On ne cherche pas à en comprendre les causes véritables, encore moins les conséquences probables, au nombre desquelles il ne faut pas exclure les risques d'une déflagration mondiale.

Vers un réalignement des forces politiques

En Europe, le débat s'est enclenché. En France, les intellectuels s'affrontent dans les médias. Les journaux prennent position. Le journal Le Monde a qualifié le conflit de guerre juste , alors que le Monde Diplomatique a pris la position inverse.

Le débat s'est évidemment transposé sur le terrain politique. En France et Allemagne, deux partis politiques membres de la coalition gouvernementale, le Parti communiste en France, le Parti Vert en Allemagne, ruent dans les brancards. Le PC français est contre l'intervention militaire, les Verts la questionnent de plus en plus. En Allemagne, Oskar Lafontaine, le numéro 2 du Parti social-démocrate, le parti au pouvoir, s'est prononcé contre les bombardements.

Il est clair que nous n'en sommes qu'au début et qu'on se dirige vers un réalignement complet des forces politiques. La question de la guerre a toujours été la ligne fondamentale de démarcation des forces politiques.

Pendant ce temps, ici au Canada et au Québec, c'est le calme plat. Souffrons-nous par contagion de l'isolationnisme américain ? Avons-nous la naïveté de croire que le conflit s'éteindra de lui-même, les frappes chirurgicales réussissant à extirper la tumeur maligne ?

De quelques vérités

À la veille de la Première guerre mondiale, le grand socialiste français Jean Jaurès déclarait que le capitalisme portait la guerre comme la nuée portait l'orage . En cette ère de triomphe absolu du capitalisme, les paroles de Jaurès sont-elles caduques ?

Il est fascinant de voir avec quelle facilité on achète — chez des gens, qui pourtant dénoncent avec acuité les thèses du néolibéralisme et le triomphe de cette idéologie et qui sont conscients de la manipulation des esprits par les médias électroniques — les thèses de la face-à-claques Jamie Shea, le porte-parole de l'OTAN, selon lesquelles il s'agit d'une intervention pour motifs humanitaires ! Comme si on avait jeté par-dessus bord tout le droit international, l'ONU, etc. pour des motifs humanitaires !

Le capitalisme, ou si on aime mieux le néolibéralisme, n'agit jamais pour des motifs humanitaires ! C'est vrai aujourd'hui en Yougoslavie, comme ce l'était hier en Bosnie. Les puissances occidentales, au premier chef les Etats-Unis, ont décidé de mettre au pas le seul État récalcitrant de la région, comme l'affirme Ignacio Ramonet dans la dernière édition du Monde Diplomatique.

Après la Yougoslavie...

Il serait bien naïf de croire que là s'arrêterait l'offensive américaine, si jamais elle réussissait à mettre à genoux la Serbie. Dans le collimateur américain, il y a, au-delà de la Yougoslavie, l'ensemble des anciennes républiques soviétiques et leurs immenses richesses naturelles, dont les champs pétrolifères.

Qui dominera la Russie dominera le monde. La lutte est engagée entre les États-Unis et l'Europe, surtout l'Allemagne, qui achève de digérer l'ancienne Allemagne de l'Est, et fait montre de beaucoup d'appétit. Les États-Unis utilisent leur supériorité militaire pour maintenir leur hégémonie sur leurs partenaires européens, mais les contradictions dans le camp de l'OTAN démontrent que de puissantes forces centrifuges sont à l'œuvre et qu'elles menaceront à terme l'unité de l'OTAN. D'où une nouvelle source de conflits majeurs.

D'autre part, qui dit que la Russie voudra se laisser dominer ? Dans une récente entrevue publiée dans le journal de l'Armée russe, Milosevic déclarait aux militaires russes 0 Demain, ce sera sur les villes russes que tomberont les bombes de l'OTAN . Qu'arrivera-t-il le jour où tombera Eltsine ? Ce pantin des États-Unis comme viennent de le confirmer des révélations sur le soutien que lui ont apporté Washington et la CIA.

La nuée dont parlait Jean Jaurès est en train de couvrir le ciel. Au sein de la population, l'inquiétude grandit. On sait bien qu'on ne pourra s'en remettre indéfiniment à une armée de métier. Pendant ce temps, à Ottawa, le Bloc appuie l'envoi de troupes au sol au Kosovo et s'interroge sur l' identité québécoise . En quelque sorte, sur le sexe des anges...