Le Vérificateur général du Canada fustige le ministre des Pêches

 


Gestion des pêches



Si quelqu'un méritait le titre de chef de l'opposition en matière de pêche, ce serait non pas les critiques en ce domaine des partis d'opposition, mais le Vérificateur général du Canada qui, pour la seconde fois en trois ans, vient de passer un sérieux savon au ministère fédéral des Pêches et des Océans.

Cette fois, c'est pour sa désastreuse gestion des ressources halieutiques ; il y a deux ans, c'était pour l'ineptie de ses programmes de restructuration de la pêche suite au moratoire du poisson de fond (morue, plie, sébaste), qui avait fait perdre quatre milliards de dollars au Trésor public sans affecter la capacité de capture des flottilles.

Dans son dernier rapport, fin avril 1999, le Vérificateur général met donc en garde le ministère que sa gestion des crustacés du golfe du Saint-Laurent et de la côte atlantique pourrait amener une catastrophe semblable à celle de la morue il y a une dizaine d'années.

Effondrement redouté du homard aux Îles-de-la-Madeleine

Et, comme pour donner raison à ce haut fonctionnaire, les rapports préliminaires de captures confirment ses appréhensions. La crevette de la zone laurentienne (estuaire, Golfe N-O., Côte-Nord) a chuté considérablement ce printemps ; l'usine des fruits de mer de Matane, maintenant propriété des pêcheurs, ne tourne qu'à 65 % de sa capacité, menaçant la possibilité de se qualifier à l'assurance-chômage de nombreux travailleurs.

Il faut signaler, qu'il y a quatre ans, le ministère fédéral des Pêches imposait une augmentation de 15 % des prises en dépit de l'opposition farouche des crevettiers ! Le principe de prudence, qui devrait présider à l'exploitation de toutes les espèces marines, semble être étranger aux bonzes des pêcheries d'Ottawa. Faut-il rappeler que, depuis 1972, la gestion d'Ottawa a causé l'effondrement de presque tous les stocks 0 hareng en 1972, sébaste en 1976 et 1992, crabe en 1985, capelan vers 1986, morue en 1992... et que l'épuisement de cette ressource, considérée il y a vingt ans encore comme une des plus abondantes de la planète, est survenu suite non seulement à la cécité, mais à la malhonnêteté scientifique de hauts responsables du ministère, dénoncée dans un manifeste co-signé par 36 biologistes de haut vol en juin 1996 ?

Comme pour donner raison encore au Vérificateur général, voilà que la pêche au homard des Îles de la Madeleine bat sérieusement de l'aile. Après une semaine, les pêcheurs déplorent des captures de 30 % inférieures à l'an dernier. Certains, tel François à Azade Arseneau, l'un des meilleurs pêcheurs de l'archipel, parlent de désastre. Encore une fois, par défaut de ce principe de prudence du gestionnaire.

Si les captures de homards n'ont cessé d'augmenter aux Îles-de-la-Madeleine de 1973 à 1995, il ne fallait pas seulement l'interpréter comme un signe d'abondance de la ressource, mais comme le résultat d'innovations technologiques augmentant la performance des bateaux ; plus gros afin de pouvoir prendre la mer par n'importe quel temps, plus rapides, disposant d'un équipement électronique de pointe (ordinateurs, positionnement par satellite, etc.) qui laissait de moins en moins de chance au homard d'échapper aux 90 000 pièges tendus chaque printemps sur son habitat. D'autant que beaucoup de ces casiers avaient doublé de taille. Certains pêcheurs, respectant la limite de 300 cages, avaient ainsi la capacité de capture de 450, sinon de 500 casiers !

De 1995 à 1997, on assiste à un fléchissement des captures de l'ordre de 20 %, compensée pour les pêcheurs, par une augmentation des prix de débarquement. En 1998, c'est le pétage de bretelles 0 les prises augmentent presque de 10 % par rapport à 1998. On parle de reprise du stock, d'avenir prometteur, etc., sans se rendre compte un instant qu'avant leur effondrement TOUTES les espèces (hareng, sébaste, morue à la fin des années '80, etc.) ont connu ce dernier petit pic vers le haut préalable au plongeon final. Les graphiques se ressemblent étrangement !

Reprise de la pêche à la morue et haro sur les phoques

Pour plusieurs pêcheurs de homard, le responsable, c'est le ministère fédéral des Pêches qui, dans son souci de plaire aux marchés, s'est contenté de mesures faiblardes de gestion 0 augmentation de la taille minimum des prises, ré-évaluation du nombre de casiers par pêcheurs selon leur grandeur. On lui reproche notamment l'absence d'études biométriques sur le homard madelinot, pourtant bien plus facile à étudier que les espèces migratrices, vu que son rayon d'habitat est de 25 km autour de l'archipel. Non seulement n'a-t-on jamais fixé de TPA (total des prises admissibles) pour cette espèce, mais on ne connaît même pas sa biomasse.

Si les perspectives semblent sombres pour les crustacés (le homard de la baie de Gaspé donne aussi à son plus bas, le crabe est au plus creux de son cycle biologique naturel de 8 ans), il semble y avoir un certain regain dans la morue. C'est du moins ce qui ressort du dernier rapport du CCRH (Conseil canadien des Ressources halieutiques), qui recommande au ministère des Pêches une reprise de la pêche commerciale dans le golfe du Saint-Laurent sur une base limitée 0 12 000 tonnes. Il y aura ensuite des années plus creuses, en raison de l'absence de recrutement dans certaines classes d'âge, mais la situation devrait se corriger d'ici trois ou quatre ans, en raison d'une (faible) reprise des stocks.

Pour la première fois, le rapport du CCRH identifie la prolifération des phoques du Groenland comme un facteur préjudiciable à la morue et recommande la diminution du troupeau de moitié, c'est-à-dire d'environ 6 millions à environ 3 millions de têtes. Cette recommandation est en soi une mise en accusation de l'incohérente gestion des phoques par Ottawa depuis quinze ans 0 dans tout écosystème, l'on ne saurait laisser croître exponentiellement les prédateurs au sommet de la chaîne alimentaire sans affecter leurs proies aux chaînons inférieurs.

On regrette cependant qu'en plus des phoques le CCRH n'ait pas désigné comme nuisance à la ressource le chalutage, et recommandé que la pêche à la morue ne soit ré-ouverte qu'aux engins fixes, filets maillants et lignes boettées, quelque type de bateaux, côtiers, semi-hauturiers, qu'on y admette. C'est comme si lui avait échappé une étude de chercheurs américains et canadiens (Université du Maine, Université Memorial de St-Jean de Terre-Neuve, Musée canadien de la Nature, etc.) publiée en janvier dans Conservation Biology, qui établit la nocivité de cette technique de pêche, la comparant aux coupes-à-blanc en forêt. En plus de manquer de sélectivité, les chaluts dévastent les fonds marins, écrasent la faune micro-biologique à la souche de la chaîne alimentaire, fauchent la flore benthique et les transforment en Sahara sous-marin. Or, la superficie planétaire dévastée par le chalutage est de 14 millions de km carrés, soit 150 fois celle des coupes-à-blanc.

Qu'il eut été agréable que le CCRH fît une recommandation invitant le gouvernement fédéral à restreindre les industriels de la pêche et faire entendre raison aux marchés 0 qu'ils n'ont pas le droit de détruire le patrimoine alimentaire de l'humanité à seule fin, j'aurais pu l'écrire faim ! de grossir leurs profits. Peut-être le Vérificateur général le fera-t-il un jour !