Vers un éclatement du réseau collégial ?

 


Les cégeps seraient habilités à décerner eux-mêmes les diplômes



La Commission d'évaluation de l'enseignement collégial (CEEC) prépare actuellement un projet d'habilitation des collèges, qui leur permettrait de décerner eux-mêmes le DEC, un peu comme les universités. Une fois le projet entériné par le ministre de l'Éducation, les cégeps pourront présenter des dossiers à la CEEC pour que celle-ci recommande que le cégep soit habilité.

Actuellement, c'est le ministère de l'Éducation qui décerne le DEC, il se porte donc garant de la qualité des diplômes. Une fois habilités, la responsabilité des collèges dans la qualité de la formation serait accrue. Mais responsable face à qui?

Les inquiétudes du mouvement étudiant

Le projet de la CEEC inquiète le mouvement étudiant. Une fois habilités, les cégeps auront encore des comptes à rendre au MEQ, mais ils seront beaucoup plus sensibles à l'opinion de ceux qui recevront leurs finissants et finissantes, les entreprises et les universités, croit Johanne Paquin, coordonatrice aux affaires pédagogiques de la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ) et plus.

L'habilitation ouvrirait la porte, déjà entrouverte, à l'entreprise privée. Sous prétexte de mieux arrimer la formation au marché du travail, les cégeps permettraient aux entreprises mécènes d'avoir beaucoup plus d'emprise sur le contenu des cours, affirme Johanne Paquin dans son document de travail sur la question. Selon elle, l'habilitation risque aussi de discriminer les étudiants et étudiantes lors du traitement de leurs demandes à l'université.

Les établissements scolaires pourraient conclure de plus en plus d'ententes entre eux pour adapter des programmes collégiaux à des programmes universitaires. De telles ententes avec les universités ou des entreprises risquent d'influencer les étudiantes et étudiants sur leur choix de cégep. Par exemple, on choisirait un programme général dans un cégep en particulier, même s'il est loin de chez soi, parce qu'il a une entente avec l'université où l'on désire poursuivre ses études.

L'exode des jeunes

La même chose se produirait dans le secteur technique où les chances d'embauche seraient plus grandes avec l'entreprise qui aurait conclu une entente avec le cégep. De quoi augmenter l'exode des jeunes et limiter la mobilité étudiante. De plus, il ne serait plus aussi facile de finir une formation ailleurs, les programmes risquant de ne pas être uniformes d'un cégep à l'autre.

Les critères d'admission pourraient aussi se resserrer croit Johanne Paquin; Dans le contexte où la provenance de l'étudiant peut avoir des impacts sur la reconnaissance de la valeur de leur formation, les cégeps auront plus qu'intérêt à être bien cotés. D'où l'importance pour eux de choisir les meilleures recrues. Pour s'assurer une réputation d'excellence, les cégeps auront besoin d'argent et Johanne Paquin craint que tous les vides juridiques possibles soient utilisés pour augmenter les frais étudiants.

Dans un contexte de recherche d'excellence, les collèges, ne pouvant pas être les premiers dans tous les domaines, se choisiront des champs de spécialisation. Les programmes privilégiés bénéficieront de plus d'investissements au détriment d'autres programmes. Mme Paquin soulignait que, dans la course à l'excellence, les cégeps de région risquent de ne pas faire le poids, leur seule chance étant d'axer leurs formations sur l'économie locale. Les jeunes qui désirent maximiser leurs chances d'être admis dans l'université de leur choix ou de décrocher un emploi avantageux voudront évidemment fréquenter le cégep qui leur offre le plus d'ouverture pour l'avenir , conclut-elle.

Un pas de plus vers la décentralisation

L'habilitation est un processus vers une plus grande autonomie des collèges qui s'inscrit dans un phénomène de décentralisation qu'on dit incontournable. L'élaboration des activités d'apprentissage déléguées au local rend les programmes de moins en moins uniformes. Depuis la réforme Marois, n'importe quel cégep peut offrir une attestation d'études collégiales (AEC) dans tous les domaines où il offre déjà un DEC et la loi peut être amendée de telle sorte qu'un cégep puisse autofinancer un AEC par des droits prélevés sur les usagers et les usagères.

Déjà, plusieurs programmes ont des ententes avec des universités et des entreprises. Par exemple, au cégep de Rosemont, les étudiants et étudiantes du DEC-Plus en sciences ont une cote R bonifiée à l'université de Montréal. L'habilitation des collèges n'est pas encore chose faite, mais avec ou sans elle, la décentralisation suivra son cours. Un fois les collèges habilités, tout sera en place pour les DEC institutionnels et la gestion des programmes collégiaux sera faite localement.

La petite histoire de l'habilitation

La Commission d'évaluation de l'enseignement collégial a été crée en 1993 lors de la Réforme Robillard en éducation. L'organisme est autonome et relève directement de l'Assemblée nationale. La CEEC, en plus de sa tâche d'évaluation des programmes, s'est vu confier le mandat, lors de sa création, d'élaborer un projet visant à habiliter les cégeps à accorder la sanction d'études. En 1997, la réforme Marois dessine un forte tendance décentralisatrice au collégial en laissant le choix des activités d'apprentissages à la discrétion de chaque cégep, le ministère imposant seulement les objectifs à atteindre. Au printemps 1998, la CEEC publie L'habilitation, document d'orientation dans lequel elle explique les procédures qu'elle entend employer pour recommander au ministre une habilitation.

Selon Jacques Lécuyer, président de la CEEC, l'habilitation est une preuve de la maturité des cégeps, une reconnaissance de la qualité de leur l'enseignement. On veut, dit-il, éviter de tomber dans le piège des bons et des mauvais cégeps, nous souhaitons donner une chance égale à tous les collèges. Il s'agit d'un processus graduel et éventuellement tous les cégeps seront habilités. Pour ce qui est de la décentralisation, M. Lécuyer croit que la tendance est indépendante du processus d'habilitation.