La voie iranienne

 

Même si Khatami peut compter sur l'appui des 20 millions de personnes – surtout des femmes, des jeunes, des intellectuelLEs et des progressistes – qui l'ont élu à la présidence, les conservateurs n'en détiennent pas moins le contrôle absolu des tribunaux, des forces policières et militaires, du ministère des Renseignements, des médias gouvernementaux, de la radio et de la télévision, du Conseil de sélection des candidatures électorales et du renforcement constant des valeurs patriarcales qui constituent le pilier principal de la République islamique. En s'attaquant à la presse, seul lieu public de débats, le régime montre l'avenir réservé aux libertés civiles dans le cadre de sa mollacratie.

Les femmes au coeur de la lutte

Pour bien comprendre ce qui se passe en Iran, il faut savoir que le terme étudiants cache le fait que plus de 51% des étudiants en Iran sont des étudiantes, que 65% de la population a moins de 25 ans et n'a connu ni le régime du Chah ni l'époque khomeiniste. Fondamentalement, ces garçons et filles réclament le respect des libertés individuelles et le droit de choisir leur propre destin. Parmi les réalités paradoxales qui expliquent peut-être l'originalité de la démarche actuelle du mouvement iranien, il y a l'avancement sans précédent des femmes sur le plan social en dépit et, peut-être, en raison des strictes restrictions vestimentaires et de la ségrégation que l'ordre islamique leur impose, croyant ainsi les garder sous tutelle. Elles n'en sont pas moins actives dans tous les domaines et les intégristes ne sont pas arrivés à contrôler le noyau familial, où elles continuent à jouer un rôle primordial. Leur participation aux élections présidentielles et municipales a été déterminante et plusieurs d'entre elles, journalistes, étudiantes, militantes politiques ont été battues et sont aujourd'hui en prison à la suite des manifestations de juillet.

La difficile unité des forces démocratiques

Le guide suprême de la révolution, Khameneï, n'a de comptes à rendre qu'à Allah! Dans ce contexte, la marge de manoeuvre de Khatami et des forces du changement est extrêmement mince. S'il se dissocie du pouvoir religieux, il sera limogé et, s'il renonce à lutter pour la démocratie, il perdra son soutien populaire. Les élections législatives de février 2000 constituent donc une échéance déterminante pour obtenir la majorité au Parlement et le contrôle de l'appareil d'État.

L'unification des forces démocratiques reste cependant incertaine parce que les avis sont partagés sur l'appui à Khatami, incapable, selon plusieurs membres du mouvement (à l'extérieur de l'Iran surtout), de remettre en question les principes de la théocratie et la subordination de l'État à l'islam.

Plutôt que de recourir aux schémas figés du passé, qui bureaucratisent la lutte et engendrent divisions et conflits, le mouvement démocratique de l'intérieur semble avoir choisi, pour sa part, de prendre le temps d'élargir sa base autour du thème central de la tolérance, de dénoncer l'hypocrisie d'un système rongé par la corruption, le népotisme, la violence à tous les niveaux du pouvoir d'État et, finalement, de pousser le régime dans ses ultimes retranchements pour qu'il fasse la preuve de son incapacité fondamentale de satisfaire les aspirations populaires. Quand ceux d'en haut ne peuvent plus, quand ceux d'en bas ne veulent plus!, une véritable révolution peut advenir 0 ce moment rêvé où le territoire intérieur de chaque membre de la société est enfin libéré de tout despotisme. Peut-être la voie iranienne est-elle la seule qui permette d'échapper au destin de l'Algérie ou de l'Afghanistan.